
Ce mois de mars a été le plus chargé depuis la création de La Bonne Poire ! Quatre activités étaient prévues, sur trois semaines car la semaine du 8 mars, nous étions prises par la grève, par les copines de lutte, la sororité et un self-care bien nécessaire. L’engagement militant est une histoire de flux et de reflux, d’espoir et de fatigue, de vigilance et de soin pour ne pas se griller.
C’est donc cette mer agitée qu’on a navigué ces dernières semaines, en nous posant des questions sur nos modes d’organisation, notre position dans le paysage militant, nos besoins/nos espoirs/nos limites et les horizons qui se présentent.
Au programme
Retour sur nos activités du mois de mars
L’humeur de La Bonne Poire : la fatigue
Ouverture aux interpellations, commentaires, retours, critiques
Événements du mois d’avril
Recommandations
# Retour sur nos activités du mois de mars
Annulation de l'atelier "Qu'est-ce qu'on fait des agressions ? #3"
“Réagir après coup : responsabilité et réparation” était le titre du troisième et dernier atelier “Qu’est-ce qu’on fait des agressions ?” prévu ce 21 mars. Nous avons décidé d’annuler cette activité qui met beaucoup de choses en mouvement, qui demande beaucoup de préparation et qui demande surtout un ancrage/une disponibilité émotionnelle assez importante que l'on doit admettre, on n'avait pas.
L'atelier a été annulé, mais ce n'est pas dit qu'on le reprogrammera pas plus tard – si et quand on le sentira. Par contre, on a toujours le projet de mettre par écrit les outils et réflexions abordées au cours de ce cycle sous forme d'un zine. En son temps. D'abord, repos, soin, réancrage.
On vous en dit plus dans la rubrique L’humeur de La Bonne Poire : la fatigue (ci-dessous).
La mensuelle "Paternité, pères, papas"
“Paternité, pères, papa” : un concept, un mot descriptif, un mot affectif. Cette thématique se décline sur un spectre très large. Si certaines personnes sont venues pour échanger des conseils pratiques, parler de leurs vécus, interroger les normes et les imaginaires auxquels ils se confrontent en étant (futurs) papas, d’autres ont approché ce thème avec beaucoup d’appréhension. Une chose est sûre : nous avons avant toute chose chacun·e (eu) un père. Père décédé, père absent, père dont on voudrait se distinguer, père violent, père négligeant; les histoires de nos relations avec nos papas ne sont pas toujours faciles. Un peu désarçonnant quand on s’attendait à parler de couches lavables !
On peut le dire : c’était une très belle mensuelle. On s’est aventuré sur des terrains sensibles, intimes et potentiellement douloureux ou difficiles mais l’ambiance était sécurisante, bienveillante, intime. C’était beau de voir que chacun·e arrivait à sentir les sujets qu’iel avait les moyens d’aborder ou pas : d’investir le cadre pour avancer sur certains terrains difficiles mais aussi s’en épargner d’autres. Ainsi, il y a eu des conversations qui ont plongé les deux pieds dans les sujets accablants (la violence, l'absence, les rapports de pouvoirs; peut-on seulement imaginer ce que c’est, être un bon père ?), d’autres qui ont cherché à aborder les choses à travers l’objectif de rester “feel good” sans néanmoins rechigner face aux vraies questions.
Avoir un père, être père, vouloir être père - ou justement pas ! La fois où on n’a pas été père (IVG), la fois où on aurait bien voulu… Élever des enfants dans un contexte non-hétéronormé, imaginer de nouvelles figures parentales dégenrées, de nouvelles organisations de la vie parentale en garde alternée, en habitat groupé, en co-parentalité. Est-ce possible d’être un bon père quand on est un homme violent, ou colérique ? Tous les sujets n’ont pas pu être creusés, mais il existe de nombreuses ressources sur le sujet que vous pouvez trouver à la fin de cette newsletter.
La discussion au Théâtre des Martyrs après la pièce Girls and Boys
Girls and Boys est une pièce écrite par Dennis Kelly, dans laquelle une femme raconte son histoire. Simplement. Une rencontre amoureuse qui commence dans une file d’attente EasyJet, une carrière prometteuse dans l’industrie du cinéma, l’arrivée des enfants – jusqu’à ce que… C’est une histoire faite de confessions douloureuses, de retours sur ses petits moments de bonheur, d’humour cinglant et de dure confrontation à la réalité. L’incompréhensible confrontation à la réalité. Dennis Kelly y construit brillamment une expédition dans les méandres d’un quotidien qui s’effrite, se fissure, par petits coups.
Si nous vous proposions de voir cette pièce, c’est qu’elle capture de façon particulièrement lucide (mais dans une lucidité proche de la folie) ce qu’est la violence masculine. Quand ça commence ? Où ça s’arrête ? Comment s’imbrique-t-elle dans le tissu du quotidien, l’air de rien, jusqu’à ce que… Construite comme un puzzle, elle nous fait voir les méfaits d’une société patriarcale à travers la voix intime d’une femme. Entendre les hommes et la violence masculine racontée par une femme, voilà un exercice auquel les hommes ont tout intérêt à se prêter, encore et encore.
Après la pièce, dans une salle où l’émotion restait présente, suspendue dans les airs, nous avons échangé et réfléchi ensemble : la masculinité en lien avec la prise de contrôle, la colère, la réussite (professionnelle), la jalousie. “Maintenant que j’y pense, je connais aucun homme de plus de 50 ans qui a franchement survécu au succès de sa femme” nous confiait quelqu’un en sortant. La masculinité se présente comme quelque chose d’à la fois très fragile et très rigide, comme une huître : ça a l’air très dur à l’extérieur, mais au fond, on sent bien que si la coquille est fissurée, il ne reste pas grand chose comme résistance. Ce qui émerge alors apparaît sous le jour d’un violence innommable, soit envers soi (suicide) soit envers les autres - parfois les deux. Et au fond, il n’est pas impossible que des hommes sachent qu’en fait, ils sont des huîtres. Mais que c’est une réalité à laquelle ils ne peuvent pas faire face, maintenant une fiction protectrice autour d’eux, une auto-narration qui les coupe du réel – et qui fait dire à l’entourage, aux femmes, aux autres : “mais il est complètement à côté de la plaque lui ?”, sans parvenir à se faire entendre.
Nous remercions France Bastoen, la fabuleuse actrice de ce seul en scène, et Jean-Baptiste Delcourt, le metteur en scène, pour leur participation à la discussion.
Atelier "Travailler l'inconfort par le corps" avec André Chapatte
Suite à l’enthousiasme suscité par le premier atelier corporel donné par notre ami André Chapatte, nous avons décidé de ritualiser cette rencontre autour des changements de saison. Autour de l’équinoxe de printemps, nous nous sommes rencontrés une nouvelle fois ce 27 mars avec un nouveau groupe. Certains avaient déjà participé au premier atelier, d’autres pas. L’objectif n’était pas de sortir de là en ayant transformé radicalement son rapport au toucher pour devenir tout à coup super à l'aise, mais bien de saisir une occasion d’interroger et de ressentir quel rapport chacun entretenait à la tactilité. Écoute, consentement, douceur et attention étaient à nouveau au rendez-vous.
Entre l’appréhension, la gêne, les hésitations du début et la confiance, la rencontre et la tendresse qui existent à la fin, on est surpris de combien on peut aller loin en quelques heures, d’à quel point nous sommes capables de nous déployer quand le cadre est sécurisant. Parfois on se croit tactiles, mais quand prenons vraiment le temps d’écouter ce qui se passe en nous ? La grande générosité des participants, les sourires, les surprises quant aux obstacles rencontrés ont fait le grain de cette rencontre; un beau moment pour accueillir les bourgeons fleurissants et se dépatouiller de l’hiver.
On remercie profondément André d’avoir guidé le groupe dans cet exercice transformateur🙏
# L'humeur de La Bonne Poire : la fatigue
La vie féministe est un cycle perpétuel d’au moins trois mouvements : la rage, le deuil, la fatigue. (On pourrait ajouter la joie; la joie est idéalement quelque chose qu’on peut cultiver en filigranes, à travers chacun de ces mouvements alors que la rage, le deuil et la fatigue ont tendance à être des phases qui se succèdent.)
La rage ou l’indignation font irruption dans le quotidien : Ce n’est pas juste. Ce n'est pas possible. On ne peut pas accepter ça. On entre en résistance, en lutte. C’est le moment du “non !”, du rejet de l’état des choses actuel. La rage est sacrée, légitime, nécessaire. Elle est un moteur puissant pour amener du changement. Mais elle consume tout : l’énergie, les relations, le quotidien, jusqu’à soi-même. La rage demande beaucoup de carburant et arrive un moment où elle s’épuise, soit parce qu’elle a tout consumé pour laisser un champ libre à du neuf, soit parce qu’on n’a plus l’énergie de la maintenir.
Les larmes, c’est de la colère qui fond. La rage ne résoudra pas tout. Le monde est plus grand que notre colère, et un jour il nous faut admettre que notre survie repose sur une capacité à lâcher prise quelque part. La tristesse est un deuil, un moment nécessaire où on reconnaît que “c’est comme ça”, on ne changera pas le monde en brandissant notre volonté, ce n’est pas un sprint dans lequel on peut cramer toute notre énergie d’un coup, mais une course d’endurance dans laquelle la gestion de l’effort est clef. Pleurer, panser ses plaies, se recueillir ensemble fait partie du processus.
Enfin, la fatigue. On fait face à cette pile de vaisselle (ou à cette “piscine de merde” comme le disait poétiquement un participant lors d’un atelier) et on se demande si, pour une fois, quelqu’un d’autre ne pourrait pas s’y coller. Il faut du courage, mais comment on fait quand on ne souhaite pas être la personne courageuse ? La fatigue, c’est reconnaître ses limites. Elle peut se transformer en amertume : on peut penser que si la situation exige de nous qu’on aille au-delà de nos limites, c’est parce que d’autres ne font pas leur part. La fatigue est une forme de détresse, un cri de “je n’y arriverai pas seul·e”. L’amitié aide car elle permet de contrer ce sentiment de solitude. On peut partager éventuellement une colère contre celleux qui ne font pas leur part à cause de leurs privilèges. C’est juste. Mais c’est l’expression d’une fatigue, pas d’une rage.
Si des féministes demandent à des hommes d’être des “alliés”, de se prendre en main, c’est qu’il y a une détresse - qui n’est pas une détresse de “on n’arrivera à rien sans vous” mais plutôt une détresse qui affirme qu'on fera bouger les choses, sans vous s'il le faut, mais ce serait fort dommage. Se prendre en charge, c’est participer à la création d’un possible qui oeuvre à faire commun. Finalement, ne rien faire c’est maintenir un état de division qui détient son lot de tragédies et de violences.
Passer par toutes ces phases n’est pas de tout repos. C’est important pour nous d’être attentives à ce qui se passe en nous, et à savoir d’où est-ce qu’on s’engage. Est-ce que le terreau de notre action est la rage, la joie, le désespoir ? Quels sont nos niveaux de tristesse, de fatigue ? On travaille à partir de ce qu’on est, d’où on en est – et “là où on en est” nous teinte parfois d’amertume, de rancune, d’espoirs mal placés. On a envie d’affirmer que toutes ces phases sont légitimes mais qu’il faut pouvoir entendre ce qu’elles nous disent de nous et de nos besoins. Être courageux·ses pour s’attaquer aux piscines de merde, mais aussi pour reconnaître ses limites et prendre soin de soi.
# Ouverture aux interpellations, commentaires, retours, critiques
À La Bonne Poire, on tente des trucs. On tente des trucs en s’informant et en réfléchissant beaucoup, en expérimentant dans des contextes particuliers, mais surtout on tente des trucs en espérant pouvoir se laisser interpeller par différentes personnes et œuvrer à ce que l’intelligence collective nous fasse éviter des écueils et avancer dans la bonne direction.
Le mois passé, on s’est interrogé sur la place des femmes dans nos activités. Et ça a suscité différents types de réactions. C’est plus confortable et facile de louer quelque chose que d’amener une critique négative, néanmoins les interpellations et feedbacks négatifs sont super importants pour identifier nos écueils.
On n’a aucune prétention à pouvoir être pertinent·e·s tou·te·s seul·e·s : notre point de vue est nécessairement situé (et à un endroit de relatif privilège pour ce qui nous concerne) et donc aussi criblé d’angles morts. Si dans nos publications ou lors de nos activités quelque chose vous interpelle, vous chipote ou vous révolte, nous souhaitons maintenir un cadre dans lequel ces retours et critiques peuvent être bien accueillis. Les points de vue les plus difficiles à exprimer ou à recevoir sont probablement aussi les plus importants. N’hésitez donc pas à nous interpeller pour partager ce que vous voyez que nous on a pu manquer ou qui se situe dans notre angle mort – idéalement par messagerie, par mail ou à la fin d’une activité (en tenant compte du fait que ce n’est pas toujours le moment où on a la plus grande disponibilité mentale et émotionnelle, on peut toujours convenir ensemble d’un meilleur moment pour se rencontrer 🙂).
# Événements du mois d'avril
Mensuelle "Sentiments. et émotions"
La mensuelle d’avril se tiendra le 11 et aura pour thématique “Sentiments et émotions”. Viens avec une envie de discuter, débattre, témoigner autour des questions d’expression des émotions mais aussi de comment les ressentir, les identifier, les habiter, les verbaliser, etc.
Si tu n’es pas encore familier avec le format des mensuelles, tu peux te renseigner ici.
Infos pratiques
Quand ? Le mardi 11 avril
Où ? Au café-bouquinerie coopératif La Vieille Chéchette (2 rue du Monténégro, Saint-Gilles)
Ouverture des portes à 18h30 ; début de l’activité à 19h, fermeture à 22h30.
Inscription souhaitée via ce formulaire. Le nombre de places est limité.
Toutes les infos sur l'évènement Facebook ou notre site internet.
Formation en communication consciente
“Aucun homme n’échappe à l’influence du patriarcat s’il ne s’efforce pas volontairement et activement de changer et de contester ce système. [...] La violence est la socialisation des garçons. Notre manière de fabriquer des garçons passe par la mutilation. La déconnexion n’est pas l’une des retombées de la masculinité traditionnelle. La déconnexion est la masculinité” [bell hooks, La volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour, Éditions Divergences, 2021 p.84-85.]
Cette citation est au cœur de nos réflexions depuis des mois. Elle pose un diagnostic cru sur la fabrication des masculinités patriarcales, mais du même coup, déploie un espace dans lequel nous pouvons penser notre action : si la masculinité est la déconnexion, alors comment œuvrer à une reconnexion ?
Dans les échanges qui ont eu lieu ces derniers mois lors d’activités organisées par La Bonne Poire, cela a été à de multiples reprises exprimé : ce sentiment de ne pas avoir accès à ses émotions, de déployer une grande quantité d’énergie afin de garder en place un barrage à l’intérieur de soi, qui, s’il cédait, emporterait tout sur son passage ; l’impression qu’un jour, toutes ses émotions ont été enfouies dans un puits profond car c’était trop à gérer. Il s’agit d’une expérience communément partagée par des personnes ayant reçu une socialisation masculine et entravant sévèrement leurs capacités communicationnelles et relationnelles.
Afin de continuer à avancer sur ce gros chantier, La Bonne Poire propose un week-end de formation à la communication consciente, communication basée sur le processus de Communication Non Violente, théorisé par Marshall Rosenberg.
Cette formation sera donnée par la professionnelle Guilaine Didier et a pour objectif de :
Prendre conscience de ce qui entrave ou favorise la connexion à soi et à l’autre ;
Être en capacité de se connecter à soi-même (corps, émotion, besoins), et de se clarifier ;
Augmenter ses habiletés émotionnelles et relationnelles (écoute et expression).
Concrètement, nous vous invitons le 22 et le 23 avril, de 9h30 à 17h30 afin de profiter d’une formation interactive, basée sur des exercices pratiques ainsi que sur l’expérimentation et l’adaptation à la réalité des apprenants. N’oubliez pas vos tartines et autres snacks si vous le souhaitez, pour le reste, on se charge de tout !
Cette activité est à prix libre et conscient. Pour vous aiguiller, voici des bornes indicatives :
Prix solidaire : de 140 à 200€ / par personne
Prix contributeur·ice : de 220 à 300€ / par personne
Afin de confirmer votre inscription, nous vous invitons à compléter le formulaire ci-dessous et à faire un virement de la moitié de la somme que vous pensez mettre pour la formation sur le compte en banque de La Bonne Poire (BE09 3630 2129 3257) avec pour communication : "LBP communication conscience". Si vous avez des questions ou des difficultés concernant l'argent, n'hésitez pas à nous contacter.
Nous espérons que cette activité touche principalement des hommes (ou personnes dont l’identité de genre s’est construite à un moment ou un autre dans la masculinité). Si tu es intéressé·e et que tu n'es pas un homme, tu es lae bienvenu·e ! Mais c'est encore mieux si tu viens accompagné·e.
Infos pratiques
22 et 23 avril
9h accueil, 9h30 début de la formation, 17h30 fin.
Bruxelles (Saint-Josse ou Ixelles, plus de précisions bientôt!)
Inscription obligatoire via ce formulaire. Le nombre de places est limité.
Toutes les infos sur l'évènement Facebook et sur notre site internet
# Ressources
Sur la thématique des agressions, de la responsabilité et de la réparation
Brochure “Je ne veux plus être un violeur”
Nous faire justice, un corpus de textes rassemblés par Thelma Lauren paru aux éditions Burn Août.
La brochure “Face à la justice”
L’épisode “Quand les pères font la loi” du podcast Un podcast à soi
Sur la thématique "paternité, pères, papas"
L’épisode “À la recherche des nouveaux pères” du podcast Les Couilles sur la table
L’épisode “Congé paternité, le miracle ?” du podcast Les Couilles sur la table
L’épisode “Papa, mode d’emploi” du podcast Les Couilles sur la table
Le livre “Tu seras un homme - féministe - mon fils !” d’Aurélia Blanc
Le livre “Faire famille autrement” de Gabrielle Richard
Les deux épisodes “Guide de la parentalité queer” du podcast Camille
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