Après un mois de mars bien chargé, nous revenons, dans cette newsletter, sur nos rencontres autour de la contraception et du documentaire Les mâles du siècle. Si tu as manqué la précédente et que tu veux tout savoir sur l’histoire des mobilisations et de la grève des femmes le 8 mars c’est ici.
# Retour sur notre rencontre autour de la contraception
Le 21 mars a eu lieu la plus grande et la plus mixte de nos rencontres. Merci pour votre enthousiasme ! Le thème de la soirée était la contraception.
Remarque préalable : discuter de contraception implique de discuter de corps, d’intimité et d’organes génitaux. Pour inclure un maximum de personnes, nous utiliserons les termes “personnes porteuses d’ovaires” (abrégé en PPO) et “personnes porteuses de testicules” (abrégé en PPT).
De plus, nous ne sommes ni médecins, ni spécialistes de la santé. L’idée n’est pas de diaboliser la contraception mainstream, qui est majoritairement prise en charge par des femmes, mais simplement de souligner que nous sommes pris dans un système, dans des enjeux historiques, politiques et économiques qu’il n’est pas bon d’ignorer si on veut agir librement.
La contraception est une source de libération à plein d’égard mais les choix contraceptifs ne sont pas qu’une question de préférences individuels, ils viennent aussi créer ou renforcer certaines normes (qui prend en charge la contraception, qui prend ses responsabilités quand ça ne fonctionne pas, qui subit les inconforts ou les effets secondaires, quelles alternatives existent pour les personnes auxquelles les produits sur le marché ne conviennent pas, …) que notre échange visait à questionner et à réfléchir.
1. Histoire et enjeux de la contraception
Merci à Clémence pour ses larges recherches sur la contraception et ses enjeux aujourd’hui.
Contexte : le développement des hormones contraceptives a des racines coloniales et disciplinaires. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays du Nord ont déployé une politique nataliste tout en entrant dans une politique de contrôle des naissances pour les pays du Sud. Il s’agit alors de développer des moyens de contracepter ou de stériliser des femmes des pays colonisés, et c’est de ces expérimentations-là qu’est issue la pilule contraceptive hormonale que l’on connaît aujourd’hui. Un peu plus tard, la deuxième vague féministe des années 1970, marquée par la demande d’un cadre législatif autour de l’avortement, soulève les enjeux contraceptifs dans les pays du Nord et réclame la contraception pour libérer les femmes d’une vie sexuelle exclusivement portée sur la reproduction. Cela marque une profonde modification des mentalités. L'épidémie du VIH/Sida des années 1990 bouleverse encore la sexualité et impose une nouvelle donnée : la protection des maladies sexuellement transmissibles. La capote s’impose alors comme méthode à la fois contraceptive et protectrice des MST/IST.
Lors de notre rencontre, nous avions discuté de la “norme contraceptive” en partant, premièrement, du point de vue des contracepté·es, pour ensuite voir si ce dernier était éventuellement induit ou du moins souscrit à l’influence du point de vue des prescipteur·ices et enfin déterminer si les institutions jouent un rôle dans tout ça. (Spoiler alert : la réponse est “oui”.) Nous n’allons pas ici ré-aborder chacun des points, denses et issus de la recherche scientifique (principalement sous le prisme de la sociologie) qu’il est trop complexe de simplifier sans entrer dans la caricature et le manque de nuance.
Points de vue des contracepté·es
La majorité des contracepté·es sont des PPO et utilisent des pilules hormonales ingérées par voie orale. Cette norme commence petit à petit à être remise en question en raison d’un élargissement du paysage contraceptif, d’un accès difficile mais aussi et surtout à cause d’une certaine méfiance relative à une multitude d’effets secondaires.
De plus, certains sociologues ont aussi souligné que chaque moyen contraceptif crée chez les usager.e.s une manière différente de vivre sa sexualité ainsi que des effets en matière de désir, de plaisir et de pratiques. Il semblerait que les méthodes contraceptives soient en partie choisies pour répondre au prisme hétéronormatif: les femmes doivent mettre en place techniquement, financièrement, mentalement et émotionnellement un dispositif qui permette à l’homme de pénétrer sans contraintes. De ce fait, découle ce que l’on pourrait nommer une “naturalisation du travail contraceptif”, ou pour le dire autrement, une “féminisation de la contraception”, qui est par conséquent invisibilisée.
Cette invisibilisation renforce des stéréotypes tels que l’irresponsabilité de l’homme qui serait focalisé sur sa sexualité là où la femme serait centrée sur sa fécondité, frein donc à l’égalité des sexes puisque cela dédouane in fine les hommes du travail contraceptif.
→ Dans ses fondements, la contraception hormonale fonctionne donc comme un agent du discours hétéro-patriarcal et colonial et est un outil de production et de contrôle du genre. Super.
Quid des prescripteur·ices?
Quel rôle jouent les médecins dans la création de cette norme contraceptive ? Cette question a aussi été investiguée par des sociologues. Nous ne pourrons pas en rendre compte de façon exhaustive, mais voici quelques pistes :
Tout d’abord, notons que la contraception est un objet particulier au sein du monde médical puisque c’est un objet technique qui n’est pas induit par une maladie. Aucun diagnostic n’est d’emblée sollicité afin de se contracepter. Dès lors, la question de de la méthode adoptée devrait être définie en fonction des demandes particulières des usager·es. Le ou la prescripeur·ice devrait être dans une posture de conseil et non de soin et son rôle devrait être d’offrir des informations de qualité, c’est-à-dire les plus complètes et nuancées possibles.
Il s’agit ici encore de représentations : la norme est, dans notre société, qu’une PPO qui a ses premiers rapports sexuels doit aller consulter un·e gynécologue, ce qui fait entrer la sexualité des PPO dans un registre médical. Les médecins sont souvent porteurs de représentations en matière de sexe, d’âge, de sexualité, de race et de classe social concernant leurs patient·es qui influenceront leurs recommandations contraceptives. Quelques exemples de représentations : “une femme voudra nécessairement des enfants à un stade de sa vie donc on lui interdira la stérilisation avant qu’elle ait déjà eu des enfants”, “les femmes sont plus responsables que les hommes dont c’est elles qui doivent prendre la charge contraceptive”, “il vaut mieux prendre des hormones dès sa puberté que d’avoir de l’acné ou des règles irrégulières”, etc. De plus, l’avortement est souvent encore présenté comme un échec et non comme un acte légitime, ce qui renforce cette norme contraceptive.
Attention, nous ne croyons pas que toutes ces représentations soient nécessairement condamnables. Mais elles font partie du paysage de la question contraceptive et les ignorer mènerait à invisibiliser tout un ensemble de rapports de domination et de normes qui structurent nos rapports genrés à la contraception et à la sexualité. La recherche scientifique affirme qu’une majorité des contracepté·es sont des PPO et que ces dernières sont souvent en manque d’informations quant au large panel qui leur est accessible. Ce manque d’informations ne permet pas un choix éclairé, ce qui est pourtant préconisé par l’OMS, restreignant dès lors la remise en question de cette norme que nous avons voulu questionner lors de nos échanges.
2. La co-responsabilité de la contraception
Pour cette partie, nous remercions Yohan pour sa participation.
Dans cette partie, la co-responsabilité sera abordée au sein du couple et n’est donc pas exhaustive pour tous les modes de relations amoureux.
On parle de co-responsabilité parce que prendre en charge la contraception ensemble est une décision qui a un triple but. Premièrement, cela soulage les femmes ou PPO de la charge mentale qui leur est imposée principalement par la société et le corps médical, des conséquences sur leur santé physique et mentale et de la charge financière. Deuxièmement, la co-responsabilité permet de questionner la domination des corps des femmes et des PPO et l’injonction à la responsabilité de la procréation, le tout dans le but de maîtriser ensemble sa parentalité (son envie ou refus d’être parent). Troisièmement, la co-responsabilité permet de définir un cadre sain, sécurisant et équitable dans lequel les deux partenaires peuvent vivre leur sexualité.
Le plus souvent, la co-responsabilité provient d'une demande de la part des femmes et des PPO pour plusieurs raisons : problèmes médicaux suite à l’usage de contraceptifs ou intolérance de ceux-ci, épuisement de devoir contrôler son propre corps pour deux, envie de revenir à un moyen plus naturel et envie d’une vision plus juste et bipartite sur la parentalité.
Sans vouloir généraliser abusivement, force est de constater qu’une large majorité des hommes et des PPT montre une méconnaissance et un désintérêt quant à la contraception. Pourquoi ? Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, dont un manque d’informations ou d’éducation sur les contraceptifs, peu (voire pas) de prises de parole des politiques sur cette question, manque d’investissement de la part des laboratoires pharmaceutiques sur la recherche car considérée comme moins rentable (potentielle clientèle plus faible et bénéfices moindres), manque de certification scientifique et législative pour les systèmes existants, croyance de conséquences sur leur virilité ou masculinité par une supposée baisse de libido, de la qualité de l’érection et de l’orgasme.
Cependant, le principal souci reste que les hommes ou les PPT ne s’y intéressent pas ou peu ou n’ont tout simplement pas envie de gérer cette charge.
3. La contraception testiculaire thermique
Lors de notre rencontre, nous avons longuement discuté de la contraception testiculaire thermique qui est une méthode qui permet aux hommes et aux PPT de se contracepter de manière non hormonale par maintien des testicules à une température de 2°C de plus que celle des testicules.
Comment ça fonctionne? Quelle efficacité? Quels avantages et inconvénients ? De nombreuses ressources sont disponibles sur notre page "ressources", dont le module “Les bases de la contraception dite masculine thermique” de Shoukria qui répond à beaucoup de questions.
En fin de newsletter, des recommandations de podcasts, de vidéos et d’articles autour de la contraception sont également mentionnées.
# Ciné-débat : Les mâles du siècle
Le 29 mars nous avons eu la chance d’être accueilli·es par le Point Culture pour une projection du documentaire “Les mâles du siècle” réalisé par Laurent Metterie, lequel a été conseillé par la philosophe Camille Froidevaux-Metterie. La projection s’est poursuivie d’un échange fort intéressant; nous remercions toustes celleux qui ont participé.
Ce documentaire donne la parole à des hommes issus de 5 générations différentes (les interviewés ont entre 17 et 95 ans) pour qu’ils présentent face caméra leur vision du féminisme, de la sexualité, du travail domestique, des femmes sur leur lieu de travail, … L’objectif de ces interviews est, en filigrane, de répondre à la question : “Qu’est-ce que le féminisme a fait aux hommes (ou pas) ?” sur le dernier siècle. Les hommes (et les deux femmes trans) qui apparaissent à l’écran ne sont pas particulièrement choisi·es pour leur adhésion à la cause féministe, mais plutôt pour présenter un éventail de discours et de vécus masculins dans un monde en changement. Il s’agit d’un travail de documentation qui s’est manifestement donné l’objectif de présenter un éventail de points de vues le plus large et diversifié possible.
La réception du documentaire a été mitigée dans la salle. On peut souligner, notamment, des rires parmi les spectateur·ices à plusieurs moments du film. Nous avons essayé d’élucider pendant la discussion si ces rires étaient moqueurs (est-ce que le documentaire cherche à déclencher ces rires en présentant les hommes interviewés sous un angle stigmatisant ?) ou nerveux (rit-on parce que ce qui est dit est horrible mais présenté avec honnêteté et sans filtre ?), ou sont-ce des rires d’auto-suffisance (rit-on parce que nous sommes une audience féministe de gens qui s’auto-congratulent de savoir qu’on n’a pas le droit de dire ce genre de choses ?).
Globalement, le documentaire a soulevé plusieurs questionnements. Certains choix de cadre ou de montage laissaient perplexes. L’intention ou le public cible n’apparaissait pas clairement. Pourquoi ce titre ? Qui bénéficierait d’entendre pendant 1h37 des hommes donner leur avis sur toutes sortes de choses, sans filtre, sans que leurs avis semblent avoir été sélectionnés pour leur pertinence ? Des hommes ? Des femmes ? Des féministes ou un public non initié ? Tout du long, on parle de « féminisme » de façon implicite, non définie, et on en ressort avec l’impression qu’il s’agit d’un marqueur de l’air du temps atteignant les individus dans leur quotidien, dans leurs relations (de couple), mais jamais comme un mouvement politique visant à transformer les structures de notre société. Le documentaire ne semble pas réussir à mettre en dialogue les « monsieur tout le monde » interviewés chez eux et des théoriciennes féministes célèbres incarnées par des comédiennes aux épaules dénudées, atemporelles.
Pour finir, nous avons souligné que Les Mâles du Siècle offrait un support de discussion intéressant et qu’il valait mieux le regarder en groupe afin de pouvoir en discuter, que de le regarder seul·e de son côté.
En fin de newsletter, des recommandations de podcasts dans une visée de faire parler les hommes de l’intime sont mentionnées.
#3 La suite?
Après ces deux grandes rencontres de mars, nous souhaitons revenir à un format plus proche de ce que La Bonne Poire était aux origines, pour un public moins nombreux principalement constitué d’hommes. C’est pourquoi nous proposons une “soirée papote” le 21 avril. L’idée est que chacun·e vienne avec un thème qu’iel aimerait aborder et qu’on lance des conversations à partir de vos demandes.
Le moment sera convivial et intimiste. Il aura lieu au bar du Réseau ADES (où nous avons déjà tenu plusieurs rencontres). Comme d’habitude, nous demandons une inscription, le formulaire se trouve via notre événement Facebook.
#4 Des recommandations
La série de podcasts “Fais parler les hommes” (France Culture) qui sonde la parole masculine au-delà des postures viriles et les interroge sur leur intimité.
Le site Normâle créé par Leila Fery qui donne à écouter des hommes parler de leur corps. Quelle relation entretiennent-ils à leur corps? D’où vient-elle? Quelles conséquences les complexes peuvent-ils avoir sur leur quotidien? De nombreux témoignages intimistes y sont regroupés et peuvent susciter des discussions.
Un article de Lucile Quillet pour L’Express qui aborde la question de la charge mentale des femmes dans la contraception. Charge temporelle, mentale et financière, les femmes expliquent comment elles vivent la prise en charge de la contraception dans leurs relations.
Une émission radio de France Culture nommée “Contraception: une conquête des libertés” Comment la contraception a-t-elle été inventée ? Quels rapports les femmes entretenaient-elles avec les techniques contraceptives ? À partir de quand commence-t-on à conjuguer la contraception au masculin ? Quels sont les différents modes de contraception disponibles aujourd'hui ?
Un podcast des Couilles sur la Table (Binge Audio) “Contraception masculine : au tour des hommes” Où en est l’offre de contraception masculine ? La pilule pour homme, c’est pour bientôt ? Pourquoi la vasectomie est-elle cinquante fois plus utilisée au Royaume-Uni qu’en France ? Quels tabous culturels pèsent sur les liens faits entre fertilité et virilité ?
Une émission radio de France Inter “La contraception masculine : on en parle?”. Pourquoi la contraception masculine reste-t-elle un impensé? Alors qu’au Québec, un homme sur trois a réalisé une vasectomie, pourquoi ce retard en France? Depuis la vague MeToo, la société questionne la charge mentale de la contraception qui repose sur les femmes. Les hommes sont-ils prêts à assumer cette responsabilité ? Les femmes sont-elles prêtes à faire confiance aux hommes en matière de contraception ?
Un roman graphique “Les contraceptés. Enquête sur le dernier tabou” écrit par Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain et illustré par Caroline Lee (éditions Steinkis). Ils ont aussi un compte Instagram.
Une émission vidéo de Mediapart “Contraception masculine, levons le tabou!” où s’expriment les deux journalistes auteurs du roman graphique “Les contraceptés” (ci-dessus). Pour trouver des ressources pratico-pratiques sur la contraception masculine, rendez-vous sur notre page "ressources"
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