Eh bien non, cette fois-ci nous ne commencerons pas notre newsletter sur une touche météo, imaginant qu’en ajouter une couche n’est pas nécessaire 🙃.
Dans cette newsletter, on s’essaye, on fait des allers-retours et ce mois-ci a été ponctué de quelques nouveautés que nous sommes heureuses de vous partager.
Nous devons l’avouer : notre engagement politique a été largement nourri par nos études universitaires et la façon dont nous nous sommes imbibées de théories et de sciences. Mais toutes les trois, nous croyons en l’importance des savoirs dits “chauds” : ceux que l’individu a acquis à travers ses expériences de vie, les savoirs incarnés, inscrits dans des contextes concrets. C’est sur ces savoirs-là que nous construisons notre rapport politique au monde, la plupart du temps. Nous croyons dans l’oscillation permanente entre savoirs chauds et savoirs froids pour, d’une part, redonner de la matérialité aux connaissances académiques qui tendent à passer beaucoup par l’abstraction et, d’autre part, nous permettre de prendre de la hauteur et de nourrir notre réflexivité.
Cela fait un moment qu’on réfléchit à redonner une plus grande place aux connaissances plus théoriques, plus denses. C’est très bien d’apprendre à parler de soi, de ses émotions, de mettre des mots sur les situations qui nous préoccupent intimement, mais quand est-ce qu’on conjugue ces éléments-là avec les dimensions historiques, matérielles, sociales, économiques, du monde qui nous entoure ? Quand est-ce qu’on adopte une vision plus macro ? Quand est-ce qu’on se laisse interpeller par ce qui n’est pas nous ?
On propose ces temps-ci quelques formats plus copieux, qui permettent de pousser la réflexion un peu plus loin, et dans lesquels nous, on s’assume peut-être un peu mieux sur le plan intellectuel.
Au programme de cette newsletter :
Retour sur les évènements d’avril
Présentation du nouveau format : FOCUS
Activités de mai
Recommandations
# Retour sur les événements d'avril
La mensuelle d'avril : La performance
Pour cette mensuelle, nous avons choisi d’aborder le thème de la performance. Thématique ambitieuse de par le nombre de réalités qu’elle recouvre : qu’est-ce qui, dans le monde qu’on habite, n’est pas lié à la performance ? Le système capitaliste ultra-libéral fait de la compétition et de la performance les mots d’ordres souverains. Judith Butler nous invite à voir le genre comme une performance couplée aussi d’un ensemble d’injonctions qui s’imposent à nous en vue de se voir légitimés.
La performance est un lieu particulier d’affirmation de la masculinité, dans le rapport aux normes (comparaison, évaluation, contrôle de soi), dans le rapport au corps (sport, nourriture, productivité), ou dans les rapports aux autres (affirmation de soi, rapports inter-personnels, etc.). Parfois, on a l’impression de performer “le bon gars”, “le mec féministe” en montrant qu’on maîtrise les codes pour être acceptable dans certains cercles sociaux. De la même manière qu’on doit parfois montrer notre maîtrise d’autres codes (plus machistes) dans d’autres cercles… La performance est aussi très présente dans la sexualité, tantôt dans le nombre de conquêtes tantôt dans le nombre d’orgasmes ou la durée des rapports sexuels : ces performances sont gages de validation masculine.
On pourrait dire que l’envers de la performance… ce serait la faillibilité ? Est-ce que le fait d’être performant·e ne fonctionne pas aussi comme un masque qui nous permet de ne pas être vu·es dans nos failles et faiblesses ?
On se demande finalement : est-ce qu’on performe pour soi ou pour les autres ? Comment se sortir de ces forces qui nous poussent à faire toujours plus, à être toujours mieux ?
Un nouveau format : FOCUS
Soyons honnêtes : on a souvent des discussions de feu entre nous.. Entre ami·es ou en non-mixité choisie, il est plus facile de déployer des espaces suffisamment sécurisants que pour aborder des questions parfois glissantes et inconfortables car on peut y faire des erreurs, essayer des nouvelles idées, en sachant que l’on ne sera pas jugé·es. Et puis, on se connaît suffisamment que pour ne pas perdre de temps dans les banalités mais aller directement là où c’est intéressant. Les discussions deviennent alors rapidement un lieu où l’on peut affiner ses idées, s’aiguiser les un·es aux autres, un lieu où l’on pose les “vraies” questions.
Le problème, c’est que reproduire ces discussions dans d’autres conditions est assez difficile. Avoir une parole semi-publique implique d’ être précis·es, de prendre le temps d’expliciter, de clarifier d’où l’on parle. On s’expose plus vite à des critiques, au risque de ciblage personnel et de harcèlement de la part d’inconnu·es. Les discours tendent alors à se rigidifier et à se rapprocher de lieux communs. À cela, s’ajoute le fameux syndrôme de l’imposteur à cause duquel l’auto-censure et le manque de confiance s’invitent dans notre rapport aux autres.
Régulièrement, à La Bonne Poire, certain·es viennent nous voir avec l’envie de s’éduquer plus loin sur l’histoire du féminisme (et de la pensée féministe), de creuser des thématiques plus précises, plus spécialisées. Nous-même nous avons cette envie depuis longtemps, sans avoir sauté le pas. La plupart de nos activités sont pensées comme des services dans lesquels on met un espace à disposition, un cadre que les participant·es peuvent s’approprier. On s’est rarement donné un espace de parole particulier, autre que celui “d’animatrices”. Pourtant, si il y a bien des choses qu’on aime, c’est creuser des sujets en profondeur, compiler des savoirs d’horizons différents pour en faire des compte-rendus précis, conjuguer savoirs froids et savoirs chauds, faire de la vulgarisation.
Peut-être que, quelque part, c’est intéressant pour nous de constater le fait que même avec notre bagage académique, ce n’est pas évident en tant que femmes d’assumer tranquillement que notre parole a de la valeur et qu’on peut lui dédier du temps ; qu’un public majoritairement constitué d’hommes peut se taire et nous écouter pendant une heure.
Bref, on a créé FOCUS pour se donner des espaces au sein de La Bonne Poire pour aller plus loin en matière de réflexion, de transmission de savoirs et d’approfondissement d’un sujet, le tout dans une ambiance conviviale. Concrètement, ça commence par quelque chose comme une table-ronde, un petit cours ou une conférence pour lancer la balle, et ensuite, toustes les participant·es se réapproprient le sujet en discutant par petit groupe avant d’en reparler toustes ensemble.
FOCUS : Le féminisme matérialiste
Le 22 avril, nous nous sommes retrouvé·es pour notre premier FOCUS sur le thème du féminisme matérialiste. En plus de proposer un nouveau format, on a occupé un nouveau local qui se trouve à l’intersection entre la Rue des Glands et la Rue des Alliés (hihi).
On a commencé par une discussion entre nous trois (écoutées par une petite quinzaine de participant·es) sur nos impressions sur le féminisme actuel. Qu’est-ce qu’on entend par féminisme aujourd’hui, autour de nous, à Bruxelles ? À quoi est-ce qu’on occupe notre temps et à quoi est-ce qu’on dédie notre énergie en tant que féministes ? Quand on a voulu répondre à cette question, on s’est rapidement rendu compte que ça ressemble assez souvent à des moments où l’on se retrouve avec les copines pour analyser ensemble des situations (de violence, de domination, d’oppression) dans nos relations intimes, dans nos cercles sociaux, dans nos milieux professionnels, et pour stratégiser des résistances et des leviers de contre-pouvoir. Ce syndicat des meufs de ta vie (comme dirait l’autre) occupe une place de soin portée sur la sphère privée, entre conseils qu’on se passe sous le manteau au sujet des relations fonctionnelles ou intimes avec des hommes, de son épanouissement sexuel, de la communication, des manières d’atteindre une plus grande autonomie, etc. À côté de ce réseau de solidarité à petite échelle, on observe aussi que le développement personnel tente de nous vendre ou nous faire consommer des conseils et recommandations individualisantes, tournés vers un soi meilleur, avec certes des relations plus épanouies mais dont la responsabilité est tournée bien souvent sur les femmes. Et puis, plus récemment, une nouvelle tendance appelée le “micro-féminisme” s’est développée sur les réseaux sociaux, un féminisme de petits gestes qui place à nouveau la responsabilité à un niveau individuel et micro. Alors, on se demande où est le féminisme qui veut changer le système ?
Loin de nous l’idée de dénigrer les luttes qui se déroulent dans la sphère privée ni même de sous-estimer l’implication et les luttes que ces collectifs mènent. Néanmoins, force est de constater qu’il y a une tendance et que le capitalisme est assez doué pour se réinventer, et s’approprier nos luttes comme un nouvel espace de marketing. Alors, demandons-nous : qu’est-ce qui a concrètement changé ces dernières années ?
Au risque de vous décevoir, voici quelques chiffres en vrac :
Selon Statbel, le taux d’emploi des femmes qui n’ont pas d’enfants est de 79,5 %, soit le même que pour les hommes sans enfant. En revanche, le taux d’emploi des femmes qui ont 3 enfants chute à 59,6% mais augmente à 87% pour les hommes.
Toujours selon Statbel, 41% des femmes ont un travail à temps partiel. Pour les hommes, il s’agit de 12%.
D’après Equal.brussels, à Bruxelles, 33% des familles avec enfants sont monoparentales. Et dans 86% des cas, la cheffe de ménage est une femme.
À Molenbeek, il y a 21 places en crèche pour 100 enfants de 0 à 2 ans et demi, selon la Ligue des familles. À Saint-Gilles, c’est 46 places et à Ixelles, 56 places.
Dans le monde, les femmes effectuent 75 % du travail non rémunéré. Dans aucun pays du monde, les hommes ne font au moins autant de travaux ménagers que les femmes. En moyenne, les femmes consacrent trois fois plus de temps aux tâches de soins. Pour une femme, cela représente un équivalent de 201 jours de travail. Pour un homme, 63 jours de travail par an. L’écart ne se réduit que très lentement. “Au rythme observé entre 1997 et 2012, il faudra encore 210 ans pour combler l’écart”, a calculé l’Organisation internationale du travail”, peut-on lire dans cet article Trends.
Le même article nous apprend que le travail non rémunéré est de loin le secteur le plus important de l’économie. Sa valeur en Belgique peut être estimée à 180 milliards d’euros par an.
Vous l’aurez sans doute déjà compris mais tous ces chiffres sont liés : enfants à charge, travail rémunéré à temps partiel, travail non rémunéré conséquent et manque de places en crèche sont autant de facteurs qui mènent à la précarisation, à la pauvreté des mères, et des femmes plus généralement. Ajoutons aussi que la division inégale du travail pèse sur le bien-être des femmes. Des recherches menées par Bram De Rock (KU Leuven) et Guillaume Perilleux (UMons) ont montré que le bien-être subjectif des femmes diminue lorsqu’elles travaillent à temps plein, tout en devant accomplir le gros du travail non rémunéré. Les femmes perçoivent la division inégale du travail comme injuste et cela leur pèse. La charge de travail injustement élevée et non rémunérée des femmes entrave également leurs chances sur le marché du travail. Ce qui à son tour se traduit par des salaires plus bas, des possibilités de promotion moindres, des conditions de travail moins bonnes, davantage de travail à temps partiel et un bien-être financier moindre.
Si on veut voir le féminisme comme une lutte qui vise une transformation effective de la société pour mettre fin aux systèmes oppressifs et rendre possible l’égalité, on a besoin de porter son regard ailleurs que sur le développement personnel. On a besoin d’indicateurs clairs. Et pour ça, le féminisme matérialiste est un outil très puissant.
Le féminisme matérialiste nous invite à voir le patriarcat comme un système économique complémentaire au capitalisme : un système au sein duquel la classe des femmes est exploitée dans la sphère de production du travail domestique. La classe des femmes n'existe pas en soi : elle est le produit d’un rapport de lutte entre celles qui sont exploitées et ceux qui exploitent et ce, en lien avec la division sexuelle du travail.
Le féminisme matérialiste nous rappelle qu’il faut penser en termes structurels et pas individuels, il nous invite à être vigilant·es à ce que le développement personnel ne nous empêche pas de faire collectif, il nous rappelle que nous guérir nous-même ne permettra en rien de sortir du système capitaliste, impérialiste, raciste, sexiste et validiste dans lequel nous existons.
Avec cet angle-là, on pose aussi différemment la question de la participation des hommes à la lutte féministe. On entend souvent que les hommes ne peuvent pas être féministes, mais est-ce qu’on ne parle pas là, en fait, d’un certain féminisme ? Dans la sphère privée, par exemple, faire des efforts pour ne pas s’étouffer de privilèges, contribuer de façon plus positive aux dynamiques relationnelles, essayer de ne pas participer à l’oppression des femmes ou des minorités de genre, c’est plutôt “se comporter comme quelqu’un de décent” et pas “être super féministe”. Les hommes ont d’ailleurs beaucoup à gagner à adapter leurs comportements pour construire des relations plus joyeuses et plus épanouissantes (y compris pour eux-mêmes).
Mais ils bénéficient toujours de l’exploitation de la classe des femmes au sein de l’économie patriarcale. Et lutter contre l’exploitation des femmes, c’est jouer directement contre eux-mêmes car cela signifie qu’ils vont perdre des avantages matériels concrets : du temps libre (du temps de loisir, de repos, du temps créatif), le confort de vivre dans un environnement dont d’autres prennent soin (sur le plan relationnel, le ménage, l’hygiène, etc.), la prise en charge de leur travail émotionnel et communicationnel, la possibilité de sous-traiter gratuitement une grande partie du travail ingrat qui leur incombe. Les hommes ont en vérité relativement peu d’intérêts à s’engager dans cette lutte contre leur propre confort de vie. C’est pour ça qu’on dit que les hommes ne participent pas à la lutte féministe : on a, en général, relativement peu d’espoir qu’ils le fassent.
Mais concrètement, c’est possible. Une grille de lecture matérialiste nous donne les moyens d’analyser les transactions entre les classes d’hommes et de femmes au sein de l’économie patriarcale et de voir là où les logiques d’exploitation sont les plus prégnantes. Les hommes aussi peuvent se mobiliser pour exiger l’abolition du statut cohabitant, exiger que l'État trouve une solution à la pénurie de crèches, exiger un congé paternité obligatoire - qui sont tous des sujets concrets qui participent à précariser ou désavantager structurellement des femmes. À quelques semaines des élections, les hommes peuvent poser le choix de voter pour des partis politiques qui défendent les intérêts des femmes et des minorités. AxelleMag, un magazine féministe belge, publie en ce moment une analyse des programmes des partis politiques belges à l’aune des revendications féministes ainsi qu’un bilan des mesures prises (ou non) pour les droits des femmes des gouvernements (aux niveaux fédéral, régional et communautaire) depuis 2019 pour vous y retrouver.
Ce premier FOCUS était très chouette. Les échanges étaient honnêtes et urgents, dans une ambiance de relativement grande stimulation intellectuelle dans laquelle tout le monde avait l’air de se retrouver On est super contentes du côté organique et convivial que l’événement a eu. Certains sujets n’ont pas pu être abordés avec autant de profondeur qu’on l’aurait voulu (comme le fameux continuum de l’échange économico-sexuel de Paola Tabet par exemple), mais… ça en laisse pour la suite 🙂
Et pour finir, quelques citations de l’activité sorties de leur contexte :
“Avoir plus d’orgasmes semble peut-être plus simple que renverser le capitalisme.”
“C’est peut-être plus facile de voir dans quelle mesure on est opprimées qu’exploitées. Voir la différence entre “oppression” et “exploitation” apporte une nuance intéressante.”
“Avec le prisme matérialiste, on vous demande pas d’être des good guys mais de lutter contre un système injuste d’exploitation duquel vous bénéficiez. Je suis pas en train de dire : comportez-vous comme des connards mais luttez pour la fin du statut cohabitant. ”
Arpentage : Le capitalisme patriarcal de Silvia Federici
C’est au Boom Café que s’est tenu le 29 avril l’arpentage du livre Le capitalisme patriarcal (2019) de Silvia Federici, un livre pour continuer à approfondir la question du féminisme matérialiste. On vous en fait ici un petit compte rendu de ce qu’on en a tiré.
Federici reconnaît à Marx trois grandes qualités utiles pour la pensée féministe : (1) il présente l’histoire comme un processus de lutte (d’êtres humains pour s’extraire de l’exploitation) ; (2) il reconnaît que la nature humaine est le produit d’une pratique sociale ; (3) il reconnaît que la théorie ne naît pas ex nihilo ou dans la tête d’une seule personne : elle naît de l’échange social, de la pratique. Néanmoins, Federici critique aussi vivement Marx car dans son analyse du capitalisme, il n’a pas pensé à la sphère du travail domestique (travail ménager, sexuel, procréation, éducation, etc.) qui recouvre pourtant des activités essentielles à la reproduction de notre vie commune. Et omettre cette sphère du travail domestique empêche de voir et d’analyser la façon spécifique dont les femmes sont exploitées.
Selon Federici, il s’est passé quelque chose d’essentiel à l’époque de Marx que ce dernier n’a pas réussi à prendre en considération : la création à la fin du 19e siècle de la famille nucléaire, avec l’apparition du salaire familial (= le salaire ouvrier masculin qui crée des personnes dépendantes) et le passage de l’industrie légère à l’industrie lourde. La réorganisation du travail fordiste (la chaîne de montage, la journée à $ 5 et l’accélération du travail) a exigé une nouvelle hygiène de vie : il fallait rendre le foyer plus agréable pour que les hommes se reposent la nuit plutôt que de traîner dans les bistrots (qui sont des lieux de prostitition mais aussi des lieux de discussion et d’organisation politique). La nouvelle hygiène de vie qui visait à garder les hommes chez eux exigeait un nouveau régime sexuel : l’intégration de la sexualité dans le travail ménager. On n’attendait plus des épouses qu’elles soient seulement mères procréatrices, mais aussi les amantes garantissant à leur mari éreinté de sa journée de travail un certain niveau de détente et de plaisir.
Seulement cette redéfinition du travail domestique et sexuel a très tôt généré des formes de résistances de la part des femmes : cas de maladies, évanouissement et maux de têtes, hystérie, frigidité, etc. L’essor des sciences sociales et de la psychanalyse à la même époque peut être relié pour partie à cette “crise de la famille” et au refus de la famille par les femmes.
À partir des années ‘50, les nouveaux canons de la vie conjugale soulignent que l’union sexuelle est essentielle au bon fonctionnement d’un mariage. L’homme étatsunien moyen a à cette époque de moins en moins recours à la prostitution pour satisfaire ses envies sexuelles. On remarque aussi un plus grand nombre de divorces pendant l’après-guerre : plus on en demande aux femmes et à la famille, plus le refus des femmes progresse. Ce refus ne pouvait pas encore être un refus du mariage (pour des raisons économiques évidentes) mais il était une revendication de plus grande mobilité au sein du mariage (la possibilité de passer d’un mari à l’autre comme on passe d’un employeur à l’autre, en exigeant de meilleures conditions du travail ménager). En 1953, le Rapport Kinsey montre la réticence des femmes à se consacrer au travail sexuel, ce à quoi répond dans les années ‘60 une campagne massive qui fait de l’orgasme féminin (présenté comme la mesure ultime de la perfection de l’union conjugale) un sujet phare. Dans les années ‘70, les “sexothérapies” et les “sex-shops” commencent à fleurir et la vie familiale connaît une recomposition remarquable avec la légitimation des rapports prénuptiaux et extraconjugaux, le “mariage libre”, la reconnaissance de l’auto-érotisme, la popularisation du Kamasutra et du vibromasseur.
Bref : cette nouvelle domesticité sert la paix sociale (en mettant dans chaque foyer une domestique à disposition) et rend les ouvriers plus productifs. Mais quels pourraient être des modèles de répartition du travail domestique qui ne reposent pas sur l’exploitation des femmes ? Ce que propose Federici, c’est les communs - ceux-là même qui ont été détruits au moment du passage du féodalisme du capitalisme (voir Caliban et la Sorcière). Opposer à la famille nucléaire à des collectifs, un tissu social dans lequel le travail peut être distribué et négocié.
Dans une ambiance détendue et légère malgré la densité et la gravité du contenu, nous avons passé un bon moment, entre confusions, rires, apprentissages et réflexions.
# Nos prochains événements
La mensuelle de mai : la culture du viol
Pour cette avant-dernière mensuelle de la saison, on se penche sur la culture du viol. La culture du viol, nous explique Maedusa Gorgone, c’est “tout ce qui dans notre culture permet et encourage l’omniprésence des violences sexuelles ; c’est l’ensemble de nos conceptions, de nos propos, de nos actions et de nos inactions qui forment un terrain propice au viol.
Parce que les violences sexuelles ne sont pas simplement de regrettables accidents, ce sont des violences systémiques. C’est le résultat d’un système social qui repose sur des mythes tenaces sur les violences sexuelles : “les garçons doivent être entreprenants”, “les victimes sont plus ou moins responsables de ce qui leur arrive”, “il y a beaucoup de fausses accusations”, “il ne peut pas y avoir de viol au sein d’un couple”, etc.”.
Cette notion que l’on entend très souvent n’est pas si aisée à appréhender. Comment penser les choses comme un système quand chaque événement peut sembler déconnecté des autres ? Venez interroger les mythes, déployer vos questions, débusquer les lieux communs sur la culture du viol.
C’est quoi une mensuelle ? L’idée de la mensuelle, c’est que ça soit un espace convivial, intimiste et sécurisant pour permettre de se rencontrer, d’échanger nos vécus, nos idées, d’accueillir et de réfléchir, de se mettre au travail ensemble pour se libérer de ce que le patriarcat essaie d’imposer comme étant normal (ou pas) afin d’imaginer et d’investir un monde plus juste et plus joyeux.
Les mensuelles sont également des espaces où rencontrer d’autres hommes qui sont dans une démarche anti-patriarcale, pour faire connaissance, pour rencontrer des compagnons de route, pour se sentir moins seul dans sa démarche.
La qualité des échanges qui ont lieu ici dépend en grande partie de ce qu’on investit dedans. Les mensuelles sont l’occasion d’investir un travail de conversation. Comme dans un sport de ballon – ou au frisbee – la fluidité des échanges dépend de l’attention que chacun peut déployer, de sa présence, du positionnement les un·es par rapport aux autres. Soyez généreux·ses et soyez attentif·ves : avez-vous besoin de prendre du recul ? De digérer ce qui vient d’être dit ? La personne en face de vous a-t-elle besoin d’écoute, de soutien, d’une question pour l’aider à clarifier son propos ? La conversation est un art coopératif.
Infos pratiques
Quand ? Le mardi 14 mai 2024
Ouverture des portes à 18h30, début de l’activité à 19h et fermeture à 22h.
Où ? À La Vieille Chéchette (2 rue du Monténégro - 1060 Saint-Gilles)
Pour qui ? Nous espérons que cette activité touche principalement des hommes. Si tu es intéressé·e et que tu n'es pas un homme, tu es lae bienvenu·e ! Mais c'est encore mieux si tu viens accompagné·e :)
Le nombre de places est limité. Inscription souhaitée via ce formulaire
Prix libre et conscient
Événement Facebook
Arpentage : La démocratie féministe de Marie-Cécile Naves
Vous le savez déjà, le 9 juin, ce sont les élections (fédérales, régionales et européennes). Quoi de mieux que cette ligne d’horizon pour proposer un nouvel arpentage ? Avec son titre “La démocratie féministe”, le livre de la sociologue et politiste Marie-Cécile Naves nous a semblé plus qu’à propos.
Un arpentage, c’est quoi ? L’arpentage est une méthode de lecture d'un ouvrage à plusieurs. Le livre est d'abord déchiré en autant de parties que le groupe compte de participant·es. Chaque partie du livre est ensuite distribuée. Chaque personne lit son extrait et après, on en discute. L'enjeu est d'emmagasiner l'essence d'un livre et de se le réapproprier collectivement sur un temps limité. Cette méthode est un outil classique de l'éducation populaire, utilisé notamment dans le monde ouvrier afin d'accumuler du savoir critique en groupe.
Quatrième de couverture :
Comment penser le monde après Donald Trump et Jair Bolsonaro ? Comment expliquer l’aura d’Alexandria Ocasio-Cortez, de Jacinda Ardern ou de Greta Thunberg ?
Le pouvoir prédateur sur les autres et la planète, incarné par les populismes néofascistes et le néolibéralisme, n’est pas une fatalité. Avec les crises démocratiques, environnementales, sanitaires et sociales que nous traversons, ce sont à la fois les récits, les agendas et les styles politiques qui doivent être questionnés. Le féminisme figure parmi les réponses. Fort d’une histoire plurielle, sur tous les continents, il est de plus en plus inclusif et transversal. Sur les plans théorique, pratique et programmatique, en multipliant les terrains d’expression et de revendication, il propose de renouveler les cadres de pensée pour construire un nouvel universel.
Par l’onde de choc qui est la sienne, dont #MeToo n’est qu’un exemple, le féminisme, avec d’autres approches du réel, jette les bases d’un projet durable et solidaire. Il promeut aussi un nouveau leadership, fondé sur la coopération et la responsabilité collective. Dans des contextes de crise, le féminisme est indispensable au renouveau démocratique, à l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir, de l’action publique à l’entreprise, en passant par l’art ou encore le sport.
L’ouvrage, clair et documenté, offre une grille de lecture de nos sociétés dans leur complexité. Il invite à repolitiser le monde, à recréer du commun, du débat, en s’appuyant sur l’imagination, le savoir et l’engagement de toutes et de tous.
Un arpentage, c’est quoi ? L’arpentage est une méthode de lecture d'un ouvrage à plusieurs. Le livre est d'abord déchiré en autant de parties que le groupe compte de participant·e·s. Chaque partie du livre est ensuite distribuée. Chaque personne lit son extrait et après, on en discute. L'enjeu est d'emmagasiner l'essence d'un livre et de se le réapproprier collectivement sur un temps limité. Cette méthode est un outil classique de l'éducation populaire, utilisé notamment dans le monde ouvrier afin d'accumuler du savoir critique en groupe.
Quatrième de couverture : Comment faire tourner les usines sans les travailleurs vigoureux, nourris, blanchis, qui occupent la chaîne de montage ? Loin de se limiter au travail invisible des femmes au sein du foyer, Federici met en avant la centralité du travail consistant à reproduire la société : combien coûterait de salarier toutes les activités procréatives, affectives, éducatives, de soin et d’hygiène aujourd’hui réalisées gratuitement par les femmes ? Que resterait-il des profits des entreprises si elles devaient contribuer au renouvellement quotidien de leur masse salariale ?
La lutte contre le sexisme n’exige pas tant l’égalité de salaire entre hommes et femmes, ni même la fin de préjugés ou d’une discrimination, mais la réappropriation collective des moyens de la reproduction sociale, des lieux de vie aux lieux de consommation – ce qui dessine l’horizon d’un communisme de type nouveau.
Infos pratiques
Quand ? Le lundi 27 mai 2024
Horaires à confirmer (l’activité débutera probablement aux alentours de 18h30-19h)
Où ? Au Boom café - 7 rue Pletinckx - 1000 Bruxelles
Qui ? Nous espérons que cette activité touche principalement des hommes. Si tu es intéressé·e et que tu n'es pas un homme, tu es lae bienvenu·e ! Mais c'est encore mieux si tu viens accompagné·e.
Le nombre de places est limité. Inscription obligatoire via ce formulaire
Prix libre et conscient
Évènement Facebook
# Recommandations
Comme tous les mois, on vous recommande des ressources pour aller plus loin. Et cette fois-ci c'est sur le féminisme matérialiste :
Le livre L’exploitation domestique de Christine Delphy et Diana Leonard (éditions Syllepse, 2019)
Le livre Le capitalisme patriarcal de Silvia Federici (éditions La Fabrique, 2019)
L’article “Aux origines du capitalisme patriarcal : entretien avec Silvia Federici” (Contretemps, 2014)
L’article “Briser le capitalisme patriarcal. À propos d’un livre de Silvia Federici” par Aurore Koechlin (Contretemps, 2019)
L’article “Le féminisme d’État est au service du développement capitaliste” (Ballast, 2020)
L’article “Nous les femmes, nous sommes le prolétariat” par le Courant communiste révolutionnaire, Celeste Murillo et Andrea D’Atri (Révolution permanente, 2018)
Le livre Le marxisme et l’oppression des femmes. Vers une théorie unitaire de Lise Vogel (les éditions sociales, 2022)
Un extrait du livre “Le marxisme et l’oppression des femmes” de Lise Vogel (Contretemps, 2022)
Le livre La révolution féministe d’Aurore Koechlin (éditions Amsterdam, 2019)
L’article “La révolution féministe. Conversation avec Aurore Koechlin” (Contretemps, 2020)
Le livre Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977) de Louise Toupin (éditions du remue-ménage, 2014)
L’article “Les luttes pour le salaire ménager : théorie et pratique” par Morgane Merteuil (Contretemps, 2015)
Le livre Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? de Maud Simonet (éditions Textuel, 2018)
Un extrait du livre “Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?” de Maud Simonet (Contretemps, 2018)
L’article “Attaquer à la racine la domination des femmes par le capital” de Leopoldina Fortunati (Contretemps, 2022)
L’épisode “C’est quoi le travail gratuit ?” du podcast Chroniques du sexisme ordinaire
Les 5 épisodes “Elie et l’amour” du podcast Coeur de Michto
Comments