
On constate une augmentation du nombre de femmes intéressées par nos activités.
C’est ok, on avait dit qu’on ne faisait pas de non-mixité et que par conséquent, chacun·e était lae bienvenu·e. Néanmoins, ça nous interroge, ça nous fait réfléchir, et on aimerait bien clarifier quelques idées.
À La Bonne Poire, on croit fortement en l’importance d’espaces distincts - dans lesquels différentes choses sont rendues possibles. Et pour répondre à un besoin très précisément identifié (d’offrir à des hommes des espaces anti-patriarcaux dans lesquels ils sont acteurs de leur (dé)construction, des espaces réflexifs, émancipateurs et collectifs), on cherche à maintenir une certaine dynamique.
Ici, on explique quels genres d’espace on veut cultiver à La Bonne Poire, pourquoi ces espaces sont mixtes, pourquoi néanmoins il est important qu’ils restent très majoritairement masculins et enfin, ce qu’on attend des femmes qui participent à nos activités.
Quels genres d’espaces on veut cultiver à La Bonne Poire ?
L’offre de La Bonne Poire vise un public masculin. Il part du constat que des personnes minorisées (femme, queer, travailleureuses du sexe, etc.) ont créé et investi des espaces pour bâtir des solidarités, s’éduquer, s’émanciper par l’échange d’expériences et l’action collective, mais que les hommes se mettent au travail (ou sont mis au travail) le plus souvent dans des relations individuelles (du tête-à-tête, avec leur pote féministe ou dans leur couple) et/ou sont confrontés à l’injonction de s’éduquer par eux-mêmes.
Nous proposons La Bonne Poire pour permettre aux hommes de s’éduquer collectivement et d’être acteurs de leur engagement anti-patriarcal. Nous croyons que de tels espaces doivent être mixtes car étant privilégiés, les hommes ont des angles morts (on expliquait ça plus en détails dans la Newsletter #1). Différentes perspectives sur les masculinités et le patriarcat sont précieuses dans ce travail critique, et différentes personnes peuvent nourrir la discussion en partageant leurs expériences. Les points de vues trans, non-binaires, féministes, d’hommes situés à différents endroits des masculinités pas forcément hégémoniques, tous sont bénéfiques pour lutter contre le patriarcat.
Selon l’activité, il nous arrive d’adapter notre communication à propos du public qu’on cible. Par exemple, pour l’atelier “Travailler l’inconfort par le corps”, nous avons jugé pertinent que tous les participants soient concernés par la masculinité, alors que pour le cycle “Qu’est-ce qu’on fait des agressions ?” nous avons choisi d’ouvrir plus largement car il nous apparaissait important de traiter ce sujet de société toustes ensemble. A posteriori, nous ne sommes plus si sûres que cette décision était la bonne, car c’est aussi vraiment important de maintenir un espace où des hommes, qui sont souvent les dernières personnes qu’on implique pour réfléchir et agir dans les situations couvertes par ce cycle, puissent justement s’outiller. Nous voulons être attentif·ve·s à ce que nos activités restent des espaces qui s’adressent prioritairement aux personnes qui ont le moins accès aux ressources des milieux queer ou féministes.
Un espace ouvert à toustes, mais adressé à certains
Nous n’avons pas toustes les mêmes besoins dans notre lutte pour nous libérer des tentacules du patriarcat. La reconnaissance de ces différents besoins justifie la nécessité d’espaces différenciés.
Développer son vocabulaire, s’éduquer, comprendre les systèmes de dominations et la façon dont ils se perpétuent, tout ça est évidemment nécessaire. Les ressources existent : nombre de penseur·euses écrivent des livres et des articles, produisent des podcasts, font des conférences, donnent des cours. Mais se renseigner n’est pas suffisant : il faut pouvoir s’approprier ces savoirs, faire le lien entre la théorie et la pratique, entre les concepts et nos expériences vécues.
Les hommes sont souvent renvoyés à la nécessité de laisser la place, de prendre moins la parole, d’écouter les personnes concernées ; d’être des alliés. Mais nous ne voulons pas oublier qu’ils sont également aliénés par ce système dont pourtant ils tirent des avantages évidents. Nous ne voulons pas seulement qu’ils appliquent les recommandations qui leur sont faites, sur comment (ne pas) se comporter, mais qu’ils puissent trouver leurs propres mots, connecter avec leurs émotions, habiter leur corps, cultiver en eux-mêmes la volonté de changer pour construire un monde plus juste et plus joyeux pour toustes - y compris pour eux-mêmes. Qu’ils puissent être transformés. Et pour cela, il faut qu’ils soient acteurs de la lutte anti-patriarcale, qu’ils aient des espaces pour penser à partir d’eux, qu’ils aient l’occasion de balbutier des idées dont ils sont pas encore sûrs, de s’essayer à des gestes inconfortables, dans des espaces sécurisants et dédiés à ça.
Les femmes sont souvent blessées par le patriarcat et par les hommes. Les premiers pas de leur révolte anti-patriarcale sont souvent enracinés dans la souffrance, dans la colère et dans la nécessité de lutter pour soi et pour ses sœurs/adelphes. Leur colère est légitime. Mais la colère, comme la misandrie, est un pharmakon : un remède autant qu’un poison. C’est une question de posologie. Il y a des lieux où déverser cette colère, où cracher ce venin, où panser ces blessures - mais La Bonne Poire n’est pas un de ces lieux. Et quand des femmes viennent avec cette blessure et cette colère-là à La Bonne Poire, ça nous met dans une position délicate en matière d’animation, ça rend notre travail difficile, car nous cherchons à créer des espaces dans lesquels autre chose est possible.
Qu’attendons-nous de notre public féminin ?
Des femmes qui sont venues à nos activités, il nous est arrivé d’entendre qu’elles étaient venues pour voir ce qui s’y passe (peut-être avec une certaine méfiance) et que ça leur avait rendu espoir. Ça a du sens et on s’en réjouit. Nous aussi, La Bonne Poire nous donne de l’espoir. La Bonne Poire nous met également au travail, car dans les milieux en non-mixité choisie, dans lesquels on peut déverser notre colère et soigner nos plaies, nous trouvons le (ré)confort d’un entre-soi nécessaire mais, ultimement, cela ne ressemble pas à la société que nous souhaitons voir advenir. « The raft is not the shore » : il ne faut pas confondre le radeau de fortune qui nous porte et la rive que nous espérons atteindre. Les postures auxquelles nous avons recours pour survivre ne sont pas forcément celles qui construisent entre nous des rapports joyeux et égalitaires pour le futur.
Aux femmes qui sont intéressées par nos activités, nous aimerions demander un exercice de réflexivité et de lucidité sur les raisons qui vous poussent à vouloir participer. Où en êtes-vous ? Apportez-vous avec vous vos blessures, votre colère, un besoin vindicatif d’être reconnue ? Si tel est le cas, nous vous encourageons vivement à investir les milieux féministes, à trouver des lieux où vous pourrez vous exprimer librement, où déposer et/ou nourrir votre colère (légitime, on ne le dira jamais assez !), où trouver de la reconnaissance. Si ce sont nos thématiques qui vous intéressent, il existe une section ressources assez fournie sur notre site web, qui renvoie vers des collectifs, des publications, des podcasts, et il nous arrive régulièrement de publier nos propres réflexions, nos outils, pour les rendre accessibles au plus grand nombre, par delà nos activités. Il y a probablement une bibliothèque queer, féministe ou anarca-féministe près de chez vous, des collectifs engagés dans votre ville. Renseignez-vous, entrez en contact, faites tourner les ressources :)
Si ces questions vous intéressent mais que vous êtes mal à l’aise avec les endroits militants, interrogez-vous sur pourquoi. Quels sont les freins/blocages ? On peut travailler là-dessus, creuser les raisons, réfléchir ensemble. Mais La Bonne Poire n’est pas un lieu dédié à ça.
On attend des personnes qui participent à nos activités et qui ne sont pas concernées par la masculinité (que ce soit de manière assignée, transitionnelle, revendiquée ou rejetée) qu’elles adoptent une posture de soutien : de la même manière qu’on demande aux hommes qui sont des alliés du féminisme de laisser la place à des moments, de pouvoir se mettre à disposition et de contribuer à ce qui transcende nos attentes personnelles. Rendez-vous disponible, amplifiez les dynamiques vertueuses, apportez votre pierre à l’édifice. Ça ne veut pas dire s’oublier : l’objectif que nous visons est bien de faire monde commun, ce qui n’est pas possible si certaines personnes s’oublient complètement dans le processus.
La Bonne Poire n’est qu’un lieu parmi d’autres dans lesquels on lutte. Nous avons choisi notre place dans la ligne et on ne peut pas être sur tous les fronts. Pour soutenir, parlez-en autour de vous, particulièrement aux gars de votre entourage qui recherchent peut-être ce genre d’espace. Demandez-leur de vous expliquer comment ça s’est passé. Lisez nos newsletters. Partagez nos publications. Vous êtes des relais précieux.
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