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Newsletter #28


Ce mois-ci, nous avons pris un temps de recul, un espace pour mijoter ensemble lors de notre mise au vert ; un moment nécessaire pour réfléchir à l’évolution de La Bonne Poire, revenir à nos premières balises, reprendre le fil de nos activités, se re-questionner, quant à ce que l’on fait et à ce que l’on veut faire. Notre projet a émergé dans le sillage de #MeToo, nous étions alors moins informées sur les masculinités mais nous étions convaincues qu’il fallait s’y pencher. Notre première intention était de générer un espace collectif dans lequel des hommes puissent prendre conscience qu’eux aussi vivent sous l’égide du patriarcat et de faciliter le travail d’identification, d’analyse et de déconstruction des structures patriarcales dans nos vies à toustes. Nous aspirions à sortir du one-to-one en favoriser les échanges des hommes entre eux, et soulager ainsi certaines féministes de la charge pédagogique, émotionnelle, relationnelle, etc. À cela s’ajoutait la volonté de mettre en avant des outils d’éducation déjà existants, de les rendre (encore) plus accessibles et de générer des espaces pour que notre public  puisse se les ré-approprier. Convaincues de la nécessité de faire bouger les hommes pour faire avancer les luttes anti-patriarcales, nous avons ces dernières années avancé à tâtons, avec des intentions claires mais sans savoir où nous allions finir, en ayant confiance dans le faire se faisant.


Le contexte politique d’aujourd’hui n’est plus le même que celui qui nous a mis en mouvement à l’époque. Le patriarcat et tous ses acolytes - que sont le racisme, le capitalisme et le reste de la bande des systèmes de dominations intrinsèquement liés - occupent de façon plus ostentatoire les plus hautes sphères et le néolibéralisme s’affirme férocement. Plutôt que de poursuivre à marche forcée, nous avons choisi de ralentir, de faire un pas de côté. Nous avons besoin de sortir du bateau, d’observer les vagues et leurs remous, de ré-orienter notre cap. 


Autrement dit, nous aspirons à faire une mise à jour, à entrer en maintenance. Nous avons besoin de temps pour déplier les cartes, pour observer nos horizons, pour faire l’inventaire des cales. Prendre du temps pour réfléchir ensemble à ce qui nous nourrit et à ce qui peut nous nourrir, identifier où sont les urgences sans tomber dans le chaos.


On peut déjà vous annoncer : il n’y aura pas de mensuelle en mars. Mars est un mois de lutte déjà bien rempli. Et nous avons besoin de renouveler nos énergies (et de reréfléchir le format, un peu). 


Ce ralentissement n’en est pas vraiment un puisqu’on sera occupées à de la cuisine interne. Et surtout, ce n’est pas une pause : on continue à vous informer de nos aventures !



Au programme

  • Retour sur nos activités de février

  • Nos prochains événements

  • Des recommandations





# Retour sur nos activités de février

La mensuelle de février : les multiples charges de l'amour

Depuis la création des mensuelles en février, l’amour est un fil rouge récurrent dans nos discussions. Chaque année, nous cherchons une nouvelle porte d’entrée pour aborder ce thème. Cette fois, nous avons choisi une perspective féministe matérialiste afin d’interroger ce que les relations amoureuses impliquent concrètement : le travail domestique, la parentalité, la charge mentale, la charge contraceptive, la charge esthétique, le travail émotionnel, le travail conversationnel, etc. Autant d’aspects souvent invisibilisés, mais pourtant essentiels à la compréhension de l’amour et du couple dans nos sociétés.


Loin d’être une expérience purement individuelle ou universelle, l’amour romantique est une construction sociale façonnée par des contextes historiques et économiques. Du modèle de l’amour courtois au Moyen Âge à l’amour conjugal bourgeois, les normes amoureuses ont évolué en fonction des structures de pouvoir et des besoins économiques. Le capitalisme, notamment, a transformé l’amour en produit de consommation : il a enfermé le couple dans la sphère privée comme unité de reproduction de la force de travail, tout en marchandisant les affects à travers la publicité, les industries culturelles ou encore les applications de rencontre.


Sujet dense de par le nombre de questions qu’il effleure, les mensuelles sur l’amour sont souvent un espace où l’on se perd. D’ailleurs, deux constats se sont vite imposés : d’une part, notre public change à chaque mensuelle, si bien que chacun·e n’a pas nécessairement assisté aux discussions précédentes. D’autre part, l’amour étant une question qui déborde, qui capte, qui fait surgir des digressions difficiles à contenir dans un cadre strictement matérialiste. Nous avons donc laissé place à une certaine élasticité, élargissant notre réflexion au-delà d’un prisme structurel.


Ainsi, plutôt que de nous limiter au constat critique, certaines tables se sont plutôt attelées à tenter d’imaginer des alternatives : Quelles formes relationnelles permettraient de sortir de l’exploitation domestique et affective ? Comment intégrer au cadre passionnel les dynamiques de l’amitié, souvent plus égalitaires et moins contraignantes ? Autant de pistes qui méritent d’être poursuivies, discutées et enrichies collectivement.


Avant le 8 mars

Cette année, nous avions pour ambition d’être un appuis concret à quelques personnes désireuses de soutenir le 8 mars. On se retrouve depuis plusieurs mois afin d’en discuter, de s’équiper, de poser des objectifs, des pistes pour s’organiser. En janvier, nous avons pris le temps de parcourir un bout de l’historique afin de se reconnecter à l’héritage des luttes. Et ce mois-ci, le groupe de travail s’est réuni pour s’organiser très concrètement. C’est donc avec enthousiasme que nous voyons une garderie et un soutien logistique s’organiser, se fédérer et avancer afin de répondre aux demandes du Collecti.e.f 8 maars ! 


Chantier : Agressions #3

Les chantiers sont des lieux d’inattendu. On s’adresse à un public hétérogène et chacun·e arrive avec ce qu’iel a : des questions en vrac, des intuitions fragiles, une fatigue du monde ou un reste d’énergie à offrir. On s’y tient, quelques heures durant, face à une question vertigineuse, en veillant à avancer sans précipitation, sans prendre (trop de) raccourcis, mais sans stagner non plus.


Ce mercredi 26 février, nous nous sommes réuni·es pour chercher à mieux comprendre le ressenti des victimes de violences sexuelles, afin de mieux les accompagner. Par où commencer, quand chaque parcours est unique, chaque blessure intime, chaque réparation chaotique ? Lise Poirier Courbet relève que « ce n’est pas la même chose d’avoir été violée à 14 ans ou à 50 ans, au démarrage de son insertion sociale ou après avoir construit son identité professionnelle, dans un contexte de plein emploi ou de vulnérabilité sociale et économique […]. Ce n’est pas la même chose non plus d’avoir porté plainte, soutenue par ses proches, ou d’avoir dû taire l’événement, par nécessité vitale d’oubli ou par peur des représailles, de l’invalidation du regard des autres, voire de la société toute entière. » (Vivre après un viol, p. 45).


Peut-on, malgré cette singularité, esquisser des repères, discerner des motifs, dessiner une boussole qui aiderait à mieux se situer face à la souffrance ? Pour s’aventurer dans ce chantier, nous avons choisi de commencer en écoutant un témoignage enregistré, lu par une comédienne, et on a fait l’exercice d’observer ce qu’il se passait dans le récit et en nous, pendant qu’on l’écoutait. Nous avons observé le coût émotionnel et matériel que cela représente de subir un viol, et toutes les démarches qui s’en suivent. Ce que les violences sexuelles font au temps, à l’espace, au langage, au corps. La vie se rétrécit pour éviter l’agressaire, la dissociation, les rendez-vous médicaux, la lourde tâche de mettre des mots - de trouver des mots, puis d’ajuster ces mots pour qu’ils deviennent nos mots à nous, reconstruire une continuité psychologique, narrative, un soi. L’énergie immense que cela requiert. 


Comment se relever quand le soin est un privilège et la réparation un taff à mi-temps ? Quand le silence devient une stratégie de survie ? Quand parler, c’est prendre le risque de devenir une “boule à facettes” qui reflète et met en lumière tous les traumas auxquels l’entourage n’a pas forcément envie de se confronter ? « Je suis devenue radioactive », a dit Judith Godrèche. Souvent, les victimes deviennent isolées, entre autres pour toutes ces raisons. Nous nous sommes demandé·es pourquoi la personne qui témoignait dans l’audio lu par la comédienne semblait si seule ? Qui aurait dû être à ses côtés ? De quels soutiens aurait-elle eu besoin ?


Nous nous sommes ensuite réparti·es en petits groupes afin d’approfondir certaines questions. 

(1) Qu’est-ce que ça veut dire, “croire les victimes” ? En particulier, lorsqu’elles peuvent avoir un récit gorgé de contradictions et de sexisme internalisé ? 

(2) Peut-on aller à l’encontre des demandes que fait une victime lorsque l’on veut aussi lui redonner de l’autonomie en leur restituant la capacité de choisir ? 

(3) Que faire quand une victime défend son agressaire ou dit n’être en colère que contre elle-même ?


Ces questions n’étaient que des amorces conversationnelles que les tables étaient invitées à habiller d’exemples, soit tirés de nos expériences concrètes soit comme expériences de pensées. L’objectif était de s’approprier des situations et de développer des outils ensemble. 


Nous avons tenté de prendre du recul, de collectiviser certains questionnements pour dégager des repères. Rachel a partagé son expérience issue des groupes en non-mixité choisie. Chaque parcours est unique, mais en les observant, des patterns peuvent émerger.

Face aux violences sexuelles, le premier réflexe est souvent le déni : minimiser, refouler, maintenir une continuité psychique en reléguant l’insupportable. On peut parler de sidération, de dissociation, d’amnésies : ce sont toutes des choses différentes mais qui in fine ont un but de survie en maintenant une cohérence de soi. Exemple : « Toujours mes histoires de mecs foireux… Mais sinon, c’est un mec bien, je vous promets ! » Puis, quelque chose fait éclater la bulle : une scène de film, le témoignage d’une autre victime, un moment de sécurité qui permet enfin de regarder ce qui a été enfoui. « Le clapet anti-reflux a lâché. »

Vient alors la nécessité de mettre des mots. Mais au début, c’est flou, entre les injonctions extérieures (« Il est juste lourd », « C’est du viol, porte plainte ! », « Attention à la présomption d’innocence… ») et les lentes construction et l’appropriation d’un langage propre. Retrouver sa voix en allant explorer les couches de magma mal refroidies de nos profondeurs, ça peut prendre du temps. Les récits évoluent : ce qu’une victime exprime au temps T sera différent à T+2 semaines, T+2 ans. Accompagner, c’est comprendre ce besoin d’expérimenter, de tester des mots, d’ajuster comme un puzzle à assembler. Ce temps est incompressible. 


Puis un récit finit par se cristalliser. Cela permet à l’émotion de circuler plus facilement : la tristesse, la colère ou la reconnaissance de sa propre blessure, c’est plus simple quand on sait pourquoi on ressent ces choses et quelle en est la source. Mais il faut aussi retisser du sens avec les autres. Un besoin de reconnaissance. Il arrive que cela s’impose comme quelque chose d’urgent : se faire entendre devient alors un enjeu de lutte. Après tant d’efforts pour reconstruire son histoire, impossible de la voir niée, même si elle dérange. Et souvent, elle dérange.  Il y a alors un rapport de force qui se dessine, quant à savoir qui va déterminer ce qu’est “la vérité”.


Parfois, cette lutte pour la reconnaissance mène à la rage.. « Plus j’en parle, plus je vois que ce n’est pas que moi, plus je comprends que c’est systémique, plus je suis en colère… » La rage dérange. La rage, ça rend parfois injuste. Mais elle est précieuse. Car toute l’injustice qui ne sort pas reste enfouie en soi. La rage, c’est le corps qui rejette le poison. Elle remet l’injustice sur la table et en fait un problème collectif.


La rage peut durer un moment. Il n’est pas rare que ça se compte en années. Mais la rage c’est épuisant, ça consume tout, c’est comme une très très longue fièvre. Et un jour, on peut se rendre compte que c’est passé.  Le poison a été comme évacué et quelque chose s’est transformé.


Ce processus n’est ni linéaire ni universel. Il demande une énergie folle, peut prendre des chemins différents, se configurer autrement. Ce n’est rien d’autre que le partage d’observations, d’un échantillon de parcours que #MeToo a rendu visible. Il existe sans doute de nombreuses ressources qui décrivent ces processus en détails, mais ce que l’on peut en retenir, c’est l’importance d’être attentif·ve aux indices que donne une personne sur “où elle en est” – à travers son langage, ses comportements, ses émotions. Les repérer permet de mieux l’accompagner et d’identifier ses besoins : a-t-elle besoin d’être soutenue dans sa volonté de se préserver ? D’un espace où expérimenter et configurer son récit ? D’une présence qui accueille sa colère, sa tristesse, sa rage ? D’un appui pour obtenir reconnaissance et justice ? Ou simplement d’un endroit sûr, d’un bol de soupe, d’un moment de répit ? Ces besoins évoluent, se chevauchent, changent avec le temps. Être à l’écoute, ce n’est pas seulement demander ce dont elle a besoin – car formuler une demande est en soi un effort – mais aussi proposer, avec sensibilité, ce qui semble juste et adapté.


Et parfois, rien n’est plus précieux que d’avoir à ses côtés quelqu’un·e qui n’a pas fuit face à l’immensité du chemin à parcourir et qui a la confiance que « maintenant n’est pas éternel ». 

On remercie l’ASBL Looops, qui mène le projet Traverser / Transcender, une recherche expérimentale et transdisciplinaire sur la question des chemins de réparation suite à des violences sexuelles, de nous avoir permis d’utiliser un bout de son matériel, notamment le témoignage audio et quelques textes. 



# Nos prochains événements

Pas de mensuelle en mars

La Bonne Poire a passé son week-end de Saint-Valentin en mise au vert, pour réfléchir à où en est le projet, le passé, le futur, les envies. Pour nous permettre de faire un pas de côté, de prendre du recul, et de mieux penser notre avenir mais aussi pour nous préserver (le calendrier militant de ces prochains mois s’annonce dense) nous avons décidé de ne pas faire de mensuelle en mars.


Chantier : Agressions #4

Lors du précédent chantier, nous nous sommes attelé·es à poser la question de comment accompagner une victime de violences sexuelles ? Une des observations, suite au témoignage, soulignait l’écoute protocolaire à laquelle la victime faisait face. Entre nous, on réfléchit souvent à comment des hommes peuvent accompagner au mieux des personnes victimes de VSS. Et, il semblerait qu’au fond, revenir à la base, ce n’est pas du luxe : ÉCOUTER.  


Écouter, ce n’est pas simplement entendre. C’est ouvrir un espace où l’autre peut exister pleinement, dans sa parole et son silence, dans ses doutes et ses élans. C’est établir un pont, un lieu de rencontre où la personne qui parle peut se sentir comprise, accueillie, reconnue.


Lorsqu’il s’agit d’accompagner une victime de violences sexuelles, l’écoute ne se limite pas à recevoir un récit. Elle engage une posture : ne pas minimiser, ne pas vouloir réparer trop vite, ne pas combler le vide par des solutions toutes faites. Écouter, c’est accepter l’inconfort de l’indicible, c’est respecter le rythme de l’autre, c’est l’aider à se reconnecter à ses propres ressources sans prendre le pouvoir sur son histoire.

Pour ce quatrième chantier, nous vous proposons donc un atelier plus pratique, dans lequel s’outiller et s’exercer à l’écoute active : à travers des mises en situation et des échanges, nous explorerons une approche de l’écoute active centrée sur la personne. 


Objectifs de ce chantier :

  • Développer une présence active ainsi qu’une écoute plus fine et plus respectueuse, notamment envers les victimes de violences sexuelles ;

  • Sortir des rapports de pouvoir pour construire des relations plus égalitaires ;

  • S’ouvrir au monde des émotions, les leurs et celles de leur entourage ;

  • Apporter du soutien sans imposer leur propre vision.


Nous n’ambitionnons pas de résoudre quoi que ce soit ni d’apporter des solutions toutes faites, mais bien de créer des espaces d’éducation, de réflexions, d’échanges, de travail collectif sur cette question devenue sujet de société.


Pour qui ?

  • Les activités de La Bonne Poire visent un public principalement masculin. Si tu n’es pas un homme mais que ça t’intéresse, tu es lae bienvenu·e ! Mais c’est encore mieux si tu viens accompagné·e 🙂

  • Plus précisément les activités autour du thème des agressions visent à donner de la visibilité à tout un travail de gestion de conflit, de prise en charge de préjudices et souvent de gestion de crise qui est réalisé dans des collectifs. On aimerait convier particulièrement les personnes qui : 

    • se sont déjà impliquées et recherchent de la mise en commun et des ressources,

    • ne se sont jamais impliquées parce qu’elles ne sauraient pas quoi faire ou auraient peur de mal faire et ont besoin de se former.


Typiquement, les personnes sexisées ont tendance à être plus impliquées dans la prise en charge des violences sexuelles. On aimerait les inviter à venir avec une autre personne de leur cercle, afin de partager l’expérience, l’attention et le travail que cela représente. 


Attention : il s’agit d’un espace de réflexion et de formation et non d’un espace de médiation victime-agressaire ou de justice réparatrice. Si vous êtes directement concerné·es présentement par une histoire d’agression ou de violence sexuelle et que vous cherchez du soutien, ceci n’est pas un endroit adapté.


Infos pratiques :

  • Quand ? Le lundi 24 mars 2025

  • Ouverture des portes à 18h30, début de l’activité à 19h et fermeture à 22h.

  • Où ? À Bruxelles (lieu à confirmer - on vous tient au courant

  • ​​Le nombre de places est limité : inscription via ce formulaire.

  • Prix libre et conscient

  • Événement Facebook



# Recommandations

Suite à la mensuelle sur l’amour : il y a déjà plein de ressources disponibles sur notre site.


Suite au troisième volet de notre “Chantier : Agressions” :

Toutes les ressources issues des précédents “Chantier : Agressions” sont disponibles sur notre site.


Suite à l’organisation autour du 8 mars

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