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Communication consciente : contre une vision héroïque du travail sur soi

  • labonnepoirebxl
  • 4 mai 2023
  • 4 min de lecture
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Il faut l’admettre : les espaces de développement personnel et les espaces politiques/militants ne font pas toujours bon ménage. Regarder vers l’intérieur, identifier et prendre soin de ses propres besoins, admettre et poser des limites au nom de son propre bien-être, ce n’est pas très populaire dans les milieux où on vit l’urgence du changement, des injustices criantes, des situations inacceptables. On est bien plus vite encouragé·es à se retrousser les manches, à sauter dans l’action, à se sacrifier pour la cause ! (Petit clin d’oeil à la section “la fatigue” de notre newsletter précédente 😉)


Néanmoins, il ne faudrait pas sous-estimer ce que cette manière de voir l’action politique a de patriarcal. Valoriser l’action héroïque, la quête du justicier seul contre tous ; tirer son pouvoir de la déconnexion que l’on entretient de ses propres émotions et traumas pour avancer et rassembler une armée de guerrier·es prêt·es à mourir pour la cause, ce n’est pas forcément le modèle dont on a besoin. Quand on réfléchit un peu, plusieurs indicateurs pointent même plutôt vers l’idée que la lutte anti-patriarcale est davantage une histoire de communauté qui se transforme (et qui transforme le monde auquel elle appartient) en apprenant à prendre soin des relations qui les lie. Pas une histoire de Héros, mais une histoire de gens, comme le chérirait Ursula Le Guin. Un vaste fourre-tout d’individus singuliers cherchant un chemin vers leur humanité en se dépatouillant avec des structures mutilantes et oppressantes et injustes. S’outiller pour prendre soin, de nous, des autres, des liens qui nous lient, c’est aussi éminemment politique.


Pendant la formation, on a pu insister sur le fait que la communication consciente (inspirée de la Communication Non Violente™) n’était pas une baguette magique qui s’applique en toute situation. Il existe un dehors de la CNV : parfois il est légitime de taper d’un poing sur la table et de dire “stop”, “non”, ou “ACAB”. D’autant plus que ce sont statistiquement beaucoup de femmes qui se forment (que ça soit en CNV ou à d’autres outils de développement personnel, de fluidification des relations et de gestion des émotions). Prendre soin de soi et d’un tissu social est un travail, et on peut faire grève de ce travail pour exiger que ce travail soit mieux réparti, mieux valorisé ou mieux organisé (#SolidariteAvecLesGrévistesDeDelhaize). Si la CNV n’est pas un outil magique qui résout tout, il n’en est pas moins vraiment un outil intéressant. Particulièrement pour des personnes socialisées à ne pas entretenir un rapport durable à leur propre vie émotionnelle et relationnelle (sous-titre : des hommes).


Il y a beaucoup de choses à dire et à digérer sur ce weekend, qui était très riche et nourrissant et confrontant sur le rapport que chacun·e entretient à ses émotions, à ses besoins et à ses relations à autrui. Une observation néanmoins mérite une mention dans ce compte rendu : c’est ce qui a été exprimé sous la forme d’une perplexité, voire d’une petite déception à la fin du weekend par quelques hommes habitués à fréquenter des milieux féministes : ils s’attendaient à prendre plus de gifles (figurativement, of course). En traduisant : ils s’attendaient à être bousculés, dérangés, mis dans l’inconfort. Or le cadre de la formation était extrêmement doux, libre et sécurisant. C’est comme si à la fin du weekend, quelques-uns restaient un peu sur leur faim, dans l’attente du grand moment de révélation, il leur manquait quelque chose d’intense.

 

On dirait que pour des hommes œuvrant à déconstruire ce que le patriarcat a placé à l’intérieur d’eux à leur insu, travailler sur soi implique souvent de travailler contre soi (et c’est probablement vrai). Et comme les femmes sont généralement socialisées à materner, à surinvestir les relations de soin et de soutien, elles font un gros travail pour pousser les hommes à se mettre en mouvement. Ou bien est-ce parce que les féministes n’ont pas une grande confiance dans l’autonomie des hommes à se bouger tout seuls (peut-être parce que les hommes ne leur donnent pas tant de raisons de croire en leur autonomie 🤔La poule ou l'œuf ?). En tout cas, ce qui met en mouvement un travail sur soi chez des hommes vient souvent d’une contrainte ou d’un événement extérieur (AKA : une gifle). Cela reproduit d’ailleurs des injonctions masculines très normées : un homme doit relever des défis, doit se cravacher pour se montrer à la hauteur, doit mériter sa place et l’amour qu’on lui accorde.


Retour à Ursula Le Guin : peut-être que le travail sur soi n’a rien d’héroïque. Ce n’est pas un seul contre toustes, ni même un seul contre soi. Ce n’est pas une aventure où l’on passe d’évènement à évènement, mais peut-être ça ressemblerait davantage à cultiver son jardin. Il arrive qu’une grande tempête ou qu’un tremblement de terre viennent semer la pagaille, mais en vrai, le gros du travail est davantage celui d’une attention quotidienne, d’une écoute de l’environnement, d’un soin des petites choses qui poussent sans grand ramdam. Se demander régulièrement : “Comment je me sens ? Qu’est-ce que ça me fait quand [X] se passe ? A quels besoins ces émotions correspondent en moi ? Comment est-ce que Bidule se sent ? A quoi est-ce que je participe pour Bidule ?”, ce n’est pas épique mais c’est profondément transformateur. La CNV est assez radicale en postulant que chacun·e a les moyens d’être autonome, émotionnellement, relationnellement, humainement; c’est-à-dire, chacun·e a les moyens de cultiver son propre jardin. Attendre les tempêtes pour ensuite réparer les pots cassés, c’est pas vraiment du jardinage ; c’est de la gestion de crise.


Un grand merci à notre formatrice, Guilaine Didier, de nous avoir rendu accessible cette formation et de se tenir de façon féconde à l’intersection inconfortable entre communauté CNV et espaces militants ! Et merci à la Commune d’Ixelles de nous avoir permis d’utiliser la Maison de quartier Malibran comme locaux 🙏

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