Se mettre au travail
- labonnepoirebxl
- 3 nov. 2022
- 4 min de lecture

C’est quoi se mettre au travail ?
Quand nous disons, à La Bonne Poire, que nous voulons nous mettre au travail sur des questions de masculinités… qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? Est-ce qu’il s’agit de s’informer, de s’intéresser à des voix minoritaires qui tentent de dénoncer les violences ? Est-ce qu’il s’agit de ne pas agresser ou violer des gens ? Est-ce qu’il s’agit d’apprendre à réagir quand nous sommes témoins d’un commentaire ou d’un comportement problématique dans notre groupe d’ami·es ? Ou de devenir conscients de la place qu’on prend par notre gestuelle ou par nos prises de paroles, et de qui on pourrait éventuellement silencier en agissant comme ça ?
Nous constatons, au bout d’un an, qu’il y a plusieurs types de profils dans les gens qui fréquentent La Bonne Poire. D’une part, il y a ceux qui se mettent au travail. Ces personnes viennent aux rencontres régulièrement ou moins régulièrement, lisent la newsletter ou non, peu importe. La question n’est pas celle des disponibilités agenda ou de la quantité d’énergie à disposition pour être présents, ni même de “où” ça se passe : l’important c’est qu’il se passe quelque chose.
D’autre part, il y a des profils qui viennent une fois et qui repartent satisfaits. Comme si quelque chose était résolu. Comme s’ils avaient compris la question et que c’était suffisant. Comme si avoir consacré trois heures à écouter des conversations revenait à avoir fait sa part. Nous, on croit que ce deuxième profil passe à côté de quelque chose parce que le patriarcat ne se résout pas en une soirée (malheureusement) et qu’il ne se résout pas non plus uniquement par de la discussion (ce serait trop confortable). Le projet de La Bonne Poire, c’est de créer des espaces où des gens peuvent venir travailler ensemble. Pour ces gens-là, alors, cherchons à expliciter ce qu’on entend par “se mettre au travail”.
Avançons par l’intermédiaire d’une anecdote :
Il y a quelques années, au sein de mon couple, on a identifié qu’il y avait du travail à faire sur la façon dont on communiquait l’un envers l’autre. Plusieurs fois on en a discuté, essayant d’identifier ce qui se passait et quelles pouvaient être les pistes d’évolution. Nous avons lus chacun de notre côté et puis ensemble ce superbe article de Corinne Monnet, “La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation”, et on a essayé d’être attentif·ve·s par la suite à la façon dont le travail conversationnel était réparti entre nous. Mais la situation restait très frustrante pour tous les deux. Moi, j’avais sans cesse l’impression de lui tendre des perches, de poser des questions qu’il avait l’air d’esquiver à chaque fois. Lui sentait que je cherchais quelque chose, il essayait d’y répondre mais ce n’était jamais suffisant.
Les choses ont vraiment commencé à changer lorsqu’il a suivi une formation en Communication Non-Violente (CNV), de laquelle il est sorti très enthousiasmé. Il venait d’apprendre que les émotions qu’on ressent nous permettent d’avoir accès à nos besoins et qu’en prenant la peine d’exprimer ses sentiments et ses besoins et d’écouter ceux de ses interlocuteur·ices, on pouvait créer des moment-espace de connections et trouver des voies qui prennent en compte les besoins de chacun. Suite à cette formation, il a rejoint un groupe de pratique qui continuerait à s'entraîner en ligne. Un jour, on se retrouve dans le salon. Il me dit, fatigué : “J’ai passé la matinée sur un email, j’ai retourné le propos dans ma tête dans tous les sens et j’ai écris 2 lignes. C’est l’enfer. Tu as déjà passé trois heures sur deux lignes toi ?” Je lui ai répondu : "Mais évidemment. Ça m'est arrivé très souvent.” Et de là, nous avons parlé de ce que c’est vraiment, communiquer.
La manière dont nous avons illustré notre situation, c’était à travers l’image suivante : c’était comme si, dans un jeu vidéo, son personnage venait de découvrir un nouveau domaine d’expertise dont il avait tout récemment débloqué le premier niveau. Son bonhomme était allé tuer des poulets dans le village voisin avec un petit couteau et savait maintenant manier une arme. Mon personnage de son côté faisait partie d’une guilde d’aventurier·eres méga badass qui partait en donjon combattre des créatures légendaires dont lui n’avait même pas la connaissance. Mais que font ces filles qui papotent durant des heures et des heures en buvant des cafés en terrasse ? Elles XP* dans le domaine du travail conversationnel et du care, pardi ! Jusqu’à ce matin-là, il croyait que communiquer c’était dire avec plus ou moins d’honnêteté ce qui nous passait pas la tête. Désormais, il pouvait entrevoir qu’il y avait des clés qui ouvraient ou fermaient une conversation, qu’on pouvait avoir une habilité à fluidifier ou à gêner les échanges, qu’ouvrir un espace dans lequel des gens peuvent se déposer et se rencontrer demandait du travail.
On peut observer qu’il y a plusieurs phases dans le fait de se mettre au travail. D’abord, on identifie un sujet. Puis on cherche des ressources, on s’informe. Ensuite, on essaie d’identifier une porte d’entrée : par quels moyens est-ce que je peux travailler là-dessus ? Et enfin, on retrousse ses manches et on met les mains dans le cambouis. Identifier qu’il y a un problème, ou une situation insatisfaisante, ou quelque chose qui cloche, ce n’est pas se mettre au travail : c’est à la limite sortir du déni. Mais on peut fermer les yeux aussi rapidement qu’on les ouvre : savoir ne suffit pas.
La différence entre identifier un sujet et “se mettre au travail”, c’est que dans le deuxième cas, on se met en jeu. On n’est plus spectateur devant un match en train de se faire, mais on entre dans le ring, on rejoint l’équipe. Aller sur le terrain, c’est fournir des efforts, se mettre dans des positions inconfortables, faire des erreurs, persister dans l’effort, prendre ses responsabilités, s’excuser, essayer de faire mieux.
C’est pas facile, mais c’est là qu’on ressent la joie, cette joie immense d’être vivants, de se frotter au réel et de pouvoir, peut-être, transformer le monde.
Cette année encore, à La Bonne Poire, nous vous invitons à vous mettre au travail. Chez vous, dans vos relations amicales, amoureuses, familiales, professionnelles, dans vos imaginaires et dans vos corps. Car les transformations sont nombreuses, et qu’on a les moyens de faire mieux.
* XP: terme issu de l’univers du jeu vidéo pour dire “gagner de l’expérience”.



Commentaires