Le 24 juin, Quentin Delval était invité par la galerie that’s what x said pour parler de son livre récemment publié : Comment devenir moins con en dix étapes. La Bonne Poire n’y est pour rien dans l’organisation de cette activité, mais on a suivi l’événement avec beaucoup d’intérêt. Sur Facebook, la galerie indiquait que : « Cet évènement s'adresse aux hommes cishet. Il est ouvert à toustes mais ne parlera pas à un public déjà averti ».
Leila est celle d'entre nous qui suit de plus près l'actualité au sujet des masculinités, que ça soit au niveau des publications ou des évènements sur Bruxelles; et elle y est allée. Quelle n’a pas été sa surprise de constater qu’elle n’était pas seulement la seule participante à être à l’heure… mais la seule participante tout court ! En réalité, on ne devrait pas vraiment parler de surprise parce que ce n'est pas la première fois que Leila va à un évent adressé aux mecs et que personne ne se pointe ou presque, à part les organisateur·rice·s. Il serait plus juste de dire : quel n’a pas été notre roulement d’yeux exaspéré de constater que les mecs ne se sont pas déplacés pour cet évènement prévu pour eux !
Afin de ne pas directement être dans le blâme et la justification, cherchons à comprendre ce qui se joue dans leur absence. Il fait beau, le soleil et le dehors nous appellent, on a l’esprit ailleurs, ou on est pris par les rush de la fin de l’année scolaire. En hiver, le temps est au cafard ou au cocooning, les gens peinent à sortir de chez eux. Ce sont des arguments irréductibles mais outre cas exceptionnels, c’est pas sûr que ça soit vraiment déterminant. Qu’est-ce qui pourrait se jouer d’autre ?
Il semblerait que beaucoup de mecs qui s’intéressent ou se sentent concernés par les questions anti-patriarcales s’engagent dans un processus de dé-patriarcalisation de soi qui leur demande une certaine dose énergie; énergie qu’ils n’engagent donc pas dans un travail politique de transformation de la société au-delà de la sphère privée. Là où les personnes sexisées (concernées par le sexisme, donc par la domination des hommes cis hétéro) sont facilement poussées à s’engager dans un travail politique, car “il en va d’elles” – la façon dont on va les traiter dans la société dépend directement du changement de structures collectives – alors que les mecs… moins. Leurs privilèges dessinent leurs engagements autrement.
Bon, ça, c’est une explication plutôt compréhensive. Une autre explication irait dans le sens de ce que John Stoltenberg prédisait en 1989 dans son livre Refuser d’être un homme :
« CE QUE FERONT LES HOMMES CONSCIENTISÉS AU COURS DES PROCHAINES ANNÉES :
PRÉDICTION : Beaucoup d’hommes conscientisés ne feront rien ou presque.
PRÉDICTION : Beaucoup d’hommes conscientisés préfèreront parler de leurs émotions.
PRÉDICTION : Beaucoup d’hommes conscientisés ne feront que ce qui les rassurera sur eux-mêmes. Si quelque chose n’a pas cet effet, il est peu probable qu’ils le fassent. Parler de leurs émotions leur permettra de se rassurer eux-mêmes.
PRÉDICTION : Beaucoup d’hommes conscientisés, s’ils s’aperçoivent qu’ils ne font rien, voudront passer des heures à se demander ce qu’il est politiquement correct de faire en tant qu’hommes. En tant qu’homme : les 4 mots les plus paralysants dans le lexique du soi-disant homme conscientisé. Il ne fera rien avant de savoir comment cela les concerne, lui et ses frères, en tant qu’hommes. Il ne fera rien à moins de savoir clairement dans quelle mesure il peut le faire avec d’autres hommes en tant qu’hommes, à moins que leur action soit particulièrement importante parce qu’ils la font en tant qu’hommes, à moins que leur action les rassure sur eux-mêmes en tant qu’hommes. En tant qu’hommes. Une éthique de vie. Une éthique d’inaction. » (p.234)
La liste de prédictions continue ainsi sur deux pages.
On constate qu’il y a de plus en plus de public pour des activités centrées sur les masculinités qui permettent de s’explorer soi-même, de se retrouver entre pairs ou de développer ses compétences ou sa confiance en soi. Mais les activités où il est demandé à des hommes de s’engager politiquement, de s’éduquer par eux-mêmes sur d’autres points de vues (en se pointant à une conférence, en achetant un livre, en faisant le déplacement par eux-mêmes) ou de soutenir une initiative en étant présents, c’est souvent un flop.
Le 29 avril, quand Jordan Peterson est venu à Forest National, cela semblait particulièrement pertinent que des hommes se mobilisent (en tant qu’hommes) pour dénoncer son idéologie masculiniste (voir Newsletter #12). Mais malgré le fait que beaucoup de personnes aient témoigné leur enthousiasme pour cette action sur les réseaux et avaient été ajoutés au groupe de discussion où ça s’organisait, on peut compter ceux qui se sont déplacés sur les doigts de deux mains. Flop. Évidemment ça met les militantes féministes en rogne. Elles, elles se bougent et elles ont 100 fois moins de chances d’être entendues. Le message que ça transmet est bien : “les hommes ne sont pas fiables, ils ne s’engagent que quand ils peuvent en bénéficier directement”.
Il y a probablement moyen d’aller plus loin dans l’analyse, d’envisager d’autres pistes. On pourrait par exemple prendre en compte la question de la définition du public cible (si on vise le mec tout venant qui a jamais touché à des questions de féminisme, il va probablement pas faire l’effort de répondre présent à cet événement en particulier) ou de la communication (a-t-on besoin de caresser un peu le public cible dans le sens du poil pour qu’il vienne ? notre public cible se sent-il concerné quand on lui propose une offre sur mesure pour lui permettre de devenir moins con ? *Si seulement 🙄*). Hannah Gadsby rappelle avec tact l’existence de cette ligne invisible entre les “good guys” et les autres ; sauf que l’ironie, c’est que chacun trace cette ligne là où ça l’arrange, et qu’au final il y a peu de gens qui ne se voient pas du bon côté de la ligne. On s’imagine évidemment que ce genre d’événements doivent être adressés aux “autres”.
Ce qui met les hommes en mouvement vers un monde plus juste, plus beau, moins violent, est une vaste question qui n’a pas fini de faire tourner nos méninges - ni les vôtres, on espère. En attendant, soyez rassurés : Leila n’a finalement pas été la seule participante. Rachel est venue soutenir puisqu’elle était pas loin, et le groupe a au final été composé de 5 meufs (les deux organisatrices de la galerie, Leila et Rachel de La Bonne Poire et la compagne de l’auteur-conférencier) et 2 mecs (l’auteur-conférencier et le copain d’une des organisatrices de la galerie 😛). La soirée a pris un tournant plus libre, l’occasion de faire de belles rencontres et d’avoir quelques échanges assez stimulants. On se réjouit de laisser ces rencontres continuer à nous stimuler dans le futur !
N’hésitez pas à passer à la galerie that’s what x said pour acheter une copie du livre, elles en ont plein en stock (au moins pour une période) ! Et pour en savoir plus sur le contenu, on vous propose cette interview de Quentin Delval, réalisé par le podcast Question Genre.
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