top of page

La ligne de démarcation entre les gens bien et les autres

  • labonnepoirebxl
  • 14 sept. 2024
  • 6 min de lecture

C’est un peu cynique, mais avec le temps, on en est venues à considérer (sans aucun dispositif scientifique pertinent # statistiques_à_l’arrache) que lorsqu’une féministe s’adresse à un homme, maximum 5% de ce qu’elle dit sera entendu par son interlocuteur. Garder ce pourcentage en tête nous permet de ne pas surinvestir les échanges et d’être plus stratégique : si seulement 5% de ce que l'on dit a une chance d’être ouï, alors comment faire en sorte que ces 5% comptent ? Quel est le plus petit pas possible pour faire avancer mon interlocuteur vers la compréhension de ce que je dis ? Cela permet aussi de doser l’ambition : ça n’importe pas que mon exposé ait été 100% clair et documenté, ni qu’il ait donné à voir en quelques minutes l’étendue de la complexité des dominations systémiques dans lesquelles nous sommes empêtré·es. Même si l’on parvient à obtenir un super effet “waw” sur une prise de parole, l'interlocuteur va rafraîchir sa mémoire peu après notre échange et ne sera capable d’en métaboliser qu’une infime fraction. Penser comme ça permet malgré tout de garder espoir : quand même, à chaque fois qu’on parle, 5% de nos propos ont une chance d’être intégrés. Finalement, il suffit d’avoir les mêmes conversations environ 20 fois à des intervalles plus ou moins longues pour enfin être entendues ! (on vous laisse décider de si ça vous fait garder espoir ou non) 🌟


Où est-ce qu’on veut en venir avec ça ? Et bien, en y repensant, # MeToo a eu lieu en 2017, soit il y a 7 ans. Un nombre absolument hallucinant de femmes s’exprime au sujet des violences sexuelles qu’elles ont subies. Le monde est sous le choc. Ce n’est pas “l’allumeuse du lycée” – “celle qui l’avait quand même bien cherché” (hein, toi-même tu sais) – non : c’est ta soeur, ta mère, ta cousine, ton amie, ta collègue, ta directrice, ta copine, ta boulangère, ton éducatrice canine, ta coiffeuse, ta psy, ta coach sportive, l’institutrice de tes enfants, la vendeuse du nightshop, la meilleure amie de ta copine, l’ex de ton meilleur pote (attends est-ce que ça veut dire que… 🤔), la go que tu suis sur insta parce qu’elle est bonne, celle qui fait des tutos cuisine en étant drôle, ta voisine de palier, ta partenaire de badminton - bref. Ce sont elles toutes là, toutes celles qui parlent et celles dont on peut deviner qu’elles se taisent.


Beaucoup de choses ont été dites, depuis. Mais malgré tous les contenus qui ont été générés sur le sujet, notre conscience collective patriarcale (pas si collective puisque les manettes sont aux mains des hommes patriarcaux) a retenu deux choses : (1) beaucoup plus de femmes qu’on ne le croit ont été victimes et (2) il y a des gros prédateurs qui ont vraiment beaucoup de pouvoir et eux, c’est des vrais méchants (Weinstein, DSK et co). Tout ce qui a été dit après (des trucs subtils du genre : “le violeur c’est toi (oui toi !), c’est ton meilleur pote, c’est ton frère, c’est ton père, c’est ton oncle, c’est ton bro du hockey, c’est ton-...”), tout ça c’est rentré d’une oreille et c’est ressorti de l’autre, ou ça a été survolé comme les notes en bas de pages d’un contrat un peu long. 



All men or not all men, that is the question 💀

Le procès de l’affaire Pelicot ouvre dans le débat public une nouvelle fenêtre de conversation pour reprendre ces échanges où ils en étaient apparemment restés. On s’interroge à nouveau en grande pompe sur ces hommes qui ont commis des choses horribles. Ces 51 inculpés (identifiés à partir des milliers de vidéos retrouvées) sont-ils des hommes normaux ? Y a-t-il une différence entre Dominique Pelicot (un vrai méchant ?) et les autres (des… euh… des mecs bien qui violent ?) ? Les violences sexuelles ne semblent toujours pas, au vu des réactions de choc que cette affaire suscite, le fait des hommes ordinaires... 


Un journaliste dit : “C’est peut-être le premier grand procès de la masculinité, où on prend collectivement conscience que notre manière d’être des hommes a des conséquences.” Et il poursuit : “Même si beaucoup de féministes le savaient déjà (😱❗), pour beaucoup de monde, pour le grand public, c’est une forme de prise de conscience assez salutaire.” Allez les filles, allez courage, on va y arriver ! De petit pas en petit pas, à chaque fois qu’on met le paquet, 5% de ce qu’on dit a une chance de percoler – peut-être cette fois-ci, on va pouvoir atteindre un nouveau palier dans la quête de rendre obsolète la fameuse ligne de démarcation entre les mecs bien et… Comment on les appelle, les autres ? Les mecs problématiques ?



Une invitation à arrêter d’utiliser le mot “problématique”

Cela fait un moment que nous menons un combat contre le mot “problématique”. On aimerait qu’il soit abandonné, qu’on l’efface de notre vocabulaire pour désigner des comportements, pour une raison très simple : c’est un mot qu’on tend à utiliser par paresse et il ne nous rend pas service.


“Problématique” si on regarde au dictionnaire, ça veut dire “qui pose problème, qui est difficile à résoudre” ou encore “qui est équivoque, suspect ou mystérieux”. La chose logique à faire, si on identifie que quelqu’un est problématique, c’est de qualifier le problème afin de trouver la solution. Une problématique demande à être résolue ! Mais souvent on ne le fait pas, parce qu’en réalité, on utilise le mot “problématique” pour disqualifier la personne. On dit : “Bidule est [quelqu’un de] problématique” et boum, il y a maintenant une ligne de démarcation entre nous et Bidule. “Machin a des comportements problématiques” et boum, un voile tombe sur Machin, qui rejoint le banc des suspects, l’anti-chambre de l’exclusion. Mais qu’est-ce que ça veut dire, pour Bidule, d’être problématique ? Est-ce que Bidule et Machin et Trucmuche sont problématiques de la même manière ? De quels problèmes est-ce qu’on parle exactement ?


Ceci est une invitation à abandonner le mot “problématique” et à qualifier les comportements que l’on voit. Est-ce que Trucmuche est “problématique” parce qu’iel : 

  • génère de l'insécurité

  • met des gens mal à l'aise

  • génère des rapports de force/de la domination

  • écrase les autres/quelqu'un en particulier

  • ne tient pas compte des limites des autres

  • coupe la parole

  • est maladroit·e

  • est incompétent·e ou ignorant·e

  • manque de soin

  • n’est pas fiable

  • est violent·e

  • est agressif·ve

  • s'approprie tout l'espace/l’attention

  • est étouffant·e ?

  • Autre, précisez : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 


Lorsqu’on utilise le mot “problématique” pour disqualifier quelqu’un, cela contribue à créer un climat dans lequel il est difficile d’assumer la responsabilité de ses actes et, par là, de les comprendre et de s’efforcer de faire mieux. Et si il faut qu’on devienne collectivement meilleur·es pour identifier et dénoncer les comportements qui participent de systèmes de dominations et de la perpétuation des violences, il faut aussi qu’on devienne meilleur·es pour soutenir les gens qui cherchent à évoluer dans le bon sens. 


Certaines situations donnent parfois l’impression que ce qui est “problématique” est contagieux : on le met à distance, comme si on avait peur d’être éclaboussé·es, comme s’il était simple de créer un contraste important entre quelqu’un de problématique et quelqu’un qui ne le serait pas si on les met à distance… mais que si on les rapproche, il pourrait apparaître que tout le monde est un peu en teinte de gris. Pour référencer une nouvelle fois Hannah Gatsby : “Si vous avez besoin de croire que quelqu’un d’autre est mauvais pour croire que vous, vous êtes bon, vous tracez une ligne très dangereuse”. 


Cela fait partie du discours que tiennent beaucoup de féministes depuis longtemps, qui n’a pas encore passé les filtres de nos prises de consciences collectives mais qui, espérons, est peut-être en passe d’être intégré : l’enjeu n’est pas d’identifier et d’exclure les personnes problématiques, de les pointer du doigt ou de les couvrir de honte. L’enjeu est de créer un contexte dans lequel chacun·e pourra se regarder à travers les yeux des autres et voir ce que ça nous fait. 


Posts récents

Voir tout

Commentaires


Les commentaires sur ce post ne sont plus acceptés. Contactez le propriétaire pour plus d'informations.
  • Facebook
  • Instagram

©2021 par La bonne poire. Créé avec Wix.com

bottom of page