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Focus : Féminisme matérialiste

  • labonnepoirebxl
  • 2 mai 2024
  • 6 min de lecture
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Le 22 avril, nous nous sommes retrouvé·es pour notre premier FOCUS sur le thème du féminisme matérialiste. En plus de proposer un nouveau format, on a occupé un nouveau local qui se trouve à l’intersection entre la Rue des Glands et la Rue des Alliés (hihi).


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On a commencé par une discussion entre nous trois (écoutées par une petite quinzaine de participant·es) sur nos impressions sur le féminisme actuel. Qu’est-ce qu’on entend par féminisme aujourd’hui, autour de nous, à Bruxelles ? À quoi est-ce qu’on occupe notre temps et à quoi est-ce qu’on dédie notre énergie en tant que féministes ? Quand on a voulu répondre à cette question, on s’est rapidement rendu compte que  ça ressemble assez souvent à des moments où l’on se retrouve avec les copines pour analyser ensemble des situations (de violence, de domination, d’oppression) dans nos relations intimes, dans nos cercles sociaux, dans nos milieux professionnels, et pour stratégiser des résistances et des leviers de contre-pouvoir. Ce syndicat des meufs de ta vie (comme dirait l’autre) occupe une place de soin portée sur la sphère privée, entre conseils qu’on se passe sous le manteau au sujet des relations fonctionnelles ou intimes avec des hommes, de son épanouissement sexuel, de la communication, des manières d’atteindre une plus grande autonomie, etc. À côté de ce réseau de solidarité à petite échelle, on observe aussi que le développement personnel tente de nous vendre ou nous faire consommer des conseils et recommandations individualisantes, tournés vers un soi meilleur, avec certes des relations plus épanouies mais dont la responsabilité est tournée bien souvent sur les femmes. Et puis, plus récemment, une nouvelle tendance appelée le “micro-féminisme” s’est développée sur les réseaux sociaux, un féminisme de petits gestes qui place à nouveau la responsabilité à un niveau individuel et micro. Alors, on se demande où est le féminisme qui veut changer le système ? 


Loin de nous l’idée de dénigrer les luttes qui se déroulent dans la sphère privée ni même de sous-estimer l’implication et les luttes que ces collectifs mènent. Néanmoins, force est de constater qu’il y a une tendance et que le capitalisme est assez doué pour se réinventer, et s’approprier nos luttes comme un nouvel espace de marketing. Alors, demandons-nous : qu’est-ce qui a concrètement changé ces dernières années ?  


Au risque de vous décevoir, voici quelques chiffres en vrac : 

  • Selon Statbel, le taux d’emploi des femmes qui n’ont pas d’enfants est de 79,5 %, soit le même que pour les hommes sans enfant. En revanche, le taux d’emploi des femmes qui ont 3 enfants chute à 59,6% mais augmente à 87% pour les hommes.

  • Toujours selon Statbel, 41% des femmes ont un travail à temps partiel. Pour les hommes, il s’agit de 12%.

  • D’après Equal.brussels, à Bruxelles, 33% des familles avec enfants sont monoparentales. Et dans 86% des cas, la cheffe de ménage est une femme. 

  • À Molenbeek, il y a 21 places en crèche pour 100 enfants de 0 à 2 ans et demi, selon la Ligue des familles. À Saint-Gilles, c’est 46 places et à Ixelles, 56 places.

  • Dans le monde, les femmes effectuent 75 % du travail non rémunéré. Dans aucun pays du monde, les hommes ne font au moins autant de travaux ménagers que les femmes. En moyenne, les femmes consacrent trois fois plus de temps aux tâches de soins. Pour une femme, cela représente un équivalent de 201 jours de travail. Pour un homme, 63 jours de travail par an. L’écart ne se réduit que très lentement. “Au rythme observé entre 1997 et 2012, il faudra encore 210 ans pour combler l’écart”, a calculé l’Organisation internationale du travail”, peut-on lire dans cet article Trends.

  • Le même article nous apprend que le travail non rémunéré est de loin le secteur le plus important de l’économie. Sa valeur en Belgique peut être estimée à 180 milliards d’euros par an.


Vous l’aurez sans doute déjà compris mais tous ces chiffres sont liés : enfants à charge, travail rémunéré à temps partiel, travail non rémunéré conséquent et manque de places en crèche sont autant de facteurs qui mènent à la précarisation, à la pauvreté des mères, et des femmes plus généralement. Ajoutons aussi que la division inégale du travail pèse sur le bien-être des femmes. Des recherches menées par Bram De Rock (KU Leuven) et Guillaume Perilleux (UMons) ont montré que le bien-être subjectif des femmes diminue lorsqu’elles travaillent à temps plein, tout en devant accomplir le gros du travail non rémunéré. Les femmes perçoivent la division inégale du travail comme injuste et cela leur pèse. La charge de travail injustement élevée et non rémunérée des femmes entrave également leurs chances sur le marché du travail. Ce qui à son tour se traduit par des salaires plus bas, des possibilités de promotion moindres, des conditions de travail moins bonnes, davantage de travail à temps partiel et un bien-être financier moindre.


Si on veut voir le féminisme comme une lutte qui vise une transformation effective de la société pour mettre fin aux systèmes oppressifs et rendre possible l’égalité, on a besoin de porter son regard ailleurs que sur le développement personnel. On a besoin d’indicateurs clairs. Et pour ça, le féminisme matérialiste est un outil très puissant. 


Le féminisme matérialiste nous invite à voir le patriarcat comme un système économique complémentaire au capitalisme : un système au sein duquel la classe des femmes est exploitée dans la sphère de production du travail domestique. La classe des femmes n'existe pas en soi : elle est le produit d’un rapport de lutte entre celles qui sont exploitées et ceux qui exploitent et ce, en lien avec la division sexuelle du travail. 

Le féminisme matérialiste nous rappelle qu’il faut penser en termes structurels et pas individuels, il nous invite à être vigilant·es à ce que le développement personnel ne nous empêche pas de faire collectif, il nous rappelle que nous guérir nous-même ne permettra en rien de sortir du système capitaliste, impérialiste, raciste, sexiste et validiste dans lequel nous existons.


Avec cet angle-là, on pose aussi différemment la question de la participation des hommes à la lutte féministe. On entend souvent que les hommes ne peuvent pas être féministes, mais est-ce qu’on ne parle pas là, en fait, d’un certain féminisme ? Dans la sphère privée, par exemple, faire des efforts pour ne pas s’étouffer de privilèges, contribuer de façon plus positive aux dynamiques relationnelles, essayer de ne pas participer à l’oppression des femmes ou des minorités de genre, c’est plutôt “se comporter comme quelqu’un de décent” et pas “être super féministe”. Les hommes ont d’ailleurs beaucoup à gagner à adapter leurs comportements pour construire des relations plus joyeuses et plus épanouissantes (y compris pour eux-mêmes). 


Mais ils bénéficient toujours de l’exploitation de la classe des femmes au sein de l’économie patriarcale. Et lutter contre l’exploitation des femmes, c’est jouer directement contre eux-mêmes car cela signifie qu’ils vont perdre des avantages matériels concrets : du temps libre (du temps de loisir, de repos, du temps créatif), le confort de vivre dans un environnement dont d’autres prennent soin (sur le plan relationnel, le ménage, l’hygiène, etc.), la prise en charge de leur travail émotionnel et communicationnel, la possibilité de sous-traiter gratuitement une grande partie du travail ingrat qui leur incombe. Les hommes ont en vérité relativement peu d’intérêts à s’engager dans cette lutte contre leur propre confort de vie. C’est pour ça qu’on dit que les hommes ne participent pas à la lutte féministe : on a, en général, relativement peu d’espoir qu’ils le fassent. 


Mais concrètement, c’est possible. Une grille de lecture matérialiste nous donne les moyens d’analyser les transactions entre les classes d’hommes et de femmes au sein de l’économie patriarcale et de voir là où les logiques d’exploitation sont les plus prégnantes. Les hommes aussi peuvent se mobiliser pour exiger l’abolition du statut cohabitant, exiger que l'État trouve une solution à la pénurie de crèches, exiger un congé paternité obligatoire - qui sont tous des sujets concrets qui participent à précariser ou désavantager structurellement des femmes. À quelques semaines des élections, les hommes peuvent poser le choix de voter pour des partis politiques qui défendent les intérêts des femmes et des minorités. AxelleMag, un magazine féministe belge, publie en ce moment une analyse des programmes des partis politiques belges à l’aune des revendications féministes ainsi qu’un bilan des mesures prises (ou non) pour les droits des femmes des gouvernements (aux niveaux fédéral, régional et communautaire) depuis 2019 pour vous y retrouver.


Ce premier FOCUS était très chouette. Les échanges étaient honnêtes et urgents, dans une ambiance de relativement grande stimulation intellectuelle dans laquelle tout le monde avait l’air de se retrouver On est super contentes du côté organique et convivial que l’événement a eu. Certains sujets n’ont pas pu être abordés avec autant de profondeur qu’on l’aurait voulu (comme le fameux continuum de l’échange économico-sexuel de Paola Tabet par exemple), mais… ça en laisse pour la suite 🙂


Et pour finir, quelques citations de l’activité sorties de leur contexte :

  • “Avoir plus d’orgasmes semble peut-être plus simple que renverser le capitalisme.”

  • “C’est peut-être plus facile de voir dans quelle mesure on est opprimées qu’exploitées. Voir la différence entre “oppression” et “exploitation” apporte une nuance intéressante.”

  • “Avec le prisme matérialiste, on vous demande pas d’être des good guys mais de lutter contre un système injuste d’exploitation duquel vous bénéficiez. Je suis pas en train de dire : comportez-vous comme des connards mais luttez pour la fin du statut cohabitant. ”

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