Face au consumérisme et à la polarisation, cultiver des espaces de rencontre
- labonnepoirebxl
- 10 juil. 2024
- 4 min de lecture

Il nous est arrivé quelquefois d’entendre des participants dire après une mensuelle que La Bonne Poire était une super initiative et que la mensuelle avait été organisée avec beaucoup de soin et de tact mais qu’ils n’avaient pas été nourris à la hauteur de leurs attentes - voire ils étaient déçus parce que les discussions qu’ils avaient eu avec d’autres mecs étaient décevantes. En creusant ces retours, on arrive généralement vite à l’idée que d’autres hommes présents à la mensuelle n’étaient pas selon eux des interlocuteurs de qualité.
Ces retours sont intéressants, principalement pour ce qu’ils nous disent de la personne elle-même. Se considère-t-elle elle-même comme un interlocuteur de qualité ? Quand on participe à une conversation et qu’on en ressort en disant qu’on “n’a rien appris”, savons-nous ce que nous étions venus chercher ? Avons-nous participé à construire le type d’échange que nous désirions, ou espérions-nous seulement que cela nous soit délivré ? Dans le même ordre d’idée, il arrive que l’un ou l’autre nouveau participant à une mensuelle dise qu’il s’attendait à être davantage bousculé, poussé dans ses retranchements. On peut considérer que ces deux types de retours sont dans une certaine mesure liés à une même cause : la personne est venue dans l’objectif de s’améliorer elle-même et espérait que d’une manière ou d’une autre le cadre de l’activité ou les autres participant·e·s concourent à ce but.
Qu’on soit claires : pour nous, l’intérêt des mensuelles n’est que rarement dans le contenu des conversations. Si un sujet vous intéresse, il y a de fortes chances que lire un livre, écouter un podcast, regarder un documentaire, aller à une conférence ou suivre une formation vous apporte plus qu’une discussion avec des inconnu·es dans un bar. L’intérêt des mensuelles est la rencontre et la qualité de ces rencontres, ainsi que les outils que l’on développe pour les provoquer.
Plusieurs personnes nous ont raconté que les mensuelles leur ont fait réaliser combien il était difficile d’avoir une conversation avec un·e inconnu·e ou même combien il était difficile de construire une conversation intéressante tout court. On a vu quelque chose changer chez plusieurs personnes qui participent fréquemment : le travail de la conversation devient pour elles plus visible, voire même l’exercice principal aux tables.
Nous, féministes franchement misandres au début de l’aventure, La Bonne Poire nous a énormément apporté. On a reconstruit via La Bonne Poire un lien avec les mecs cis hétéro qu’on ne côtoyait plus tellement dans nos vies. C’est quelque chose que d’autres féministes ou personnes queer (voire même des mecs pas queer !) nous ont aussi déjà dit après avoir participé à une mensuelle : ça faisait longtemps qu’iels ne s’étaient plus rendus disponibles pour un vrai moment d’échange avec un groupe de mecs cis hétéros. Et en fait l’exercice est bousculant parce que c’est bien plus simple de couper les liens et d’avilir l’autre que de s’asseoir autour d’une table et d’essayer d’avoir ensemble un échange intéressant*.
À l’heure où les médias traditionnels jouent constamment le jeu de la polarisation des extrêmes et où la société en général est de plus en plus compartimentée, on croit qu’au-delà de l’aspect féministe et anti-patriarcal, il y a un gros enjeu politique à cet endroit-là. Dans Manifeste pour une démocratie déviante : Amours queers face au fascisme, Costanza Spina parle de l’imaginaire héroïque de la lutte et de la révolution. À quel point dans les espaces militants sommes-nous imbibé·es de cet imaginaire-là ? Un des angles morts de la gauche est peut-être parfois de considérer qu’il y a une action ou un dire qui est juste face à nos ennemis, participant du même coup à la division du monde entre “eux” et “nous”. Des blocs peuvent éventuellement accepter d’être mis dans le même sac face à un ennemi commun, mais est-ce qu’on arrive à faire communauté ? Est-ce qu’on arrive à faire féconder nos idées les uns par les autres, à polliniser d’une plante à l’autre ? Quels écosystèmes on crée ? (Coucou Mycélium 🙂)
Dans les milieux féministes, on co-construit, on se multiplie, on s’interpelle, on entre en dialogue, on répète, on amplifie, on critique, on féconde ; cette idée qu’on n’est plus capable de sourcer tellement elle a voyagé par capillarité d’un collectif à l’autre. Et c’est une des grandes forces de cet élan, on se contredit toutes et pourtant, on cultive l’appartenance. Et c’est peut-être là l’objectif que l’on a pour La Bonne Poire aujourd’hui : (ré)apprendre à faire communauté, tisser des liens de soins et de résistances, des espaces impurs (au sens de non empreints de pureté militante) où se rencontrer et se faire grandir mutuellement à travers nos différences. Rester au contact de la réalité de l’autre et se laisser bousculer, un peu.
Alors à ceux qui cherchent à La Bonne Poire un lieu pour s’améliorer eux-même : on n’évolue jamais que collectivement, dans les liens qu’on est capables de tisser 🙂
* Que ce soit clair : on ne fera jamais la leçon à celleux qui décident de couper les ponts. Couper les ponts est une manière de se sortir du danger, de se régénérer, de se préserver lorsqu’on a été abîmé·e trop loin et c’est une stratégie légitime. Seulement à long terme, ce n’est pas ça le modèle de société que l’on désire.



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