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Coup de gueule et détour historique sur l'avortement



Le 28 septembre, c’était la journée internationale pour le droit à l’avortement. Quelques jours avant, la proposition de loi du PS, d'Ecolo-Groen, du PTB et de l'Open Vld visant à renforcer le droit à l'IVG, inscrite à l'ordre du jour de la Commission Justice du Parlement fédéral, a été refusée. Cette proposition reprend les recommandations adoptées à l'unanimité en avril 2023, émanant d'un rapport rédigé par plus de 40 expert·es et repose sur l'allongement de 12 à 18 semaines du délai dans lequel un avortement peut être pratiqué, ainsi que sur la suppression du délai de réflexion. Elle a pourtant été contrée par les partis de l'Arizona -N-VA, MR, Engagés, Vooruit et CD&V- ainsi que le Vlaams Belang. 


La même semaine, la Belgique a aussi eu “l’honneur” d'accueillir le pape et de s'ébahir sur ses propositions : béatifier le roi Baudoin pour sa grande lutte contre l’avortement et, sans complexes, qualifier les médecins qui pratiquent l’avortement de « tueurs à gage ». Soit, une belle semaine pour les droits des femmes et leurs luttes à disposer de leurs corps. 🫠


Rassurons-nous, cette semaine-là avait aussi lieu une manifestation pour le droit à l’avortement, pour le droit des femmes à disposer librement de leur corps, à 14h30 à la Cathédrale Saint-Michel et Gudule. On y était et franchement, c’était la manif de la dep. On était une centaine, pas plus. Une centaine, pendant que des milliers de gens accueillaient le pape, quelques jours après que les partis potentiels d’une future coalition décident de contrer cette loi qui pourrait « mettre en difficultés les partenaires et négociations »


Il nous semblait important d’en parler pour plusieurs raisons : déjà on avait le seum mais surtout parce que ce sujet ne concerne pas que les femmes (et oui, les femmes ne tombent pas enceintes grâce aux cigognes) ! L’avortement est un enjeu féministe fondamental puisqu’il touche au contrôle que les femmes peuvent exercer sur leur propre corps, leur santé, leur autonomie. Il est marqué par une histoire récente, proche, et n’est pas un acquis politique. Comme le suggère Simone de Beauvoir : « Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes ». La pénalisation de l’avortement au Texas en septembre 2021 en est un exemple criant. Un autre exemple frappant est celui de la décision de la Cour constitutionnelle de Pologne, qui a interdit presque totalement l'accès à l'avortement, en supprimant les motifs « de malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant la vie du fœtus » permettant l'avortement, en octobre 2021. En 2024, en Italie, le Sénat a donné le feu vert définitif à un amendement - porté par le parti de Giorgia Meloni, qui légitime la présence des associations anti-IVG dans les planning familiaux. 


Bref, l’avortement est un enjeu de lutte et force est de constater qu’en Belgique, il semble que rien n’a foncièrement bougé depuis les années 1990



L’avortement : un enjeu fondamental féministe


« Mon corps, mon choix », ça vous dit quelque chose ? Ce cri est un symbole emblématique des mouvements pour les droits des femmes, notamment en matière de droits reproductifs et d'avortement. En effet, son origine remonte aux années 1970, mais il s’inscrit dans une longueinitialement scandé pour contester les lois qui restreignent l'accès à l'avortement, qui, dans de nombreux pays occidentaux, était encore illégal ou sévèrement réglementé. Avec le temps, « Mon corps, mon choix » devient plus qu'un simple slogan lié à l'avortement. Il s'étend à d'autres questions féministes liées à la sexualité, comme la lutte contre les violences sexuelles, le droit à la contraception, etc. 


L’avortement est un enjeu fondamental du féminisme pour plusieurs raisons : 


  1. Le droit à disposer de son corps : les luttes féministes plaident pour le droit des femmes à disposer librement de leur corps, de la possibilité de choisir si et quand elles veulent avoir des enfants, à la possibilité de faire des choix en fonction de leurs besoins, de leurs projets de vie et de leurs désirs. Le contrôle de la reproduction a longtemps et est toujours un outil de domination des femmes. Réclamer le droit à l’avortement, c’est aussi réclamer la fin de la domination patriarcale. 

  2. Santé et sécurité : Comme on le lit sur la petite pancarte ci-dessus, « abortion is healthcare ». Ça signifie que les femmes ont toujours avorté et qu’elles continueront de le faire, que ce soit légal ou pas et ce, au risque de leurs vies. En effet, si l’avortement est illégal ou restreint, les femmes sont alors dans l’obligation de recourir à des pratiques clandestines et parfois, dangereuses. Le manque d’accès à des soins d’avortement sécurisés a entrainé et continue d’entrainer des milliers de décès et de complications médicales graves (on parle 47 000 femmes qui décèdent suite à des avortements clandestins chaque année dans le monde, soit une femme toutes les 9 minutes). La légalisation de l’avortement permet  un cadre et donc la garantie de procédures sûres dans des condition médicales appropriées, protégeant ainsi la santé de femmes. 

  3. Lutte contre les inégalités de genreaffirmer qu’une femme n’a pas la possibilité de contrôler sa reproduction, c’est assigner la femme à un certain rôle : celui d'objet reproducteur. Réclamer le droit d’être un sujet, libre de ses propres choix et non pas d’être un objet reproductif, réifié à sa fonction génitrice est donc un enjeu fondamental dans la lutte pour l’égalité de genre. En Belgique, le délai de réflexion est d’ailleurs un des signes de l’assignation des femmes à une fonction reproductive: en effet, considérer qu’une femme peut avoir un enfant mais qu’elle ne sait pas si elle en veut un ou pas est quelque peu offusquant. C’est la marque d’une infantilisation des femmes, une manière d’affirmer qu’elles ne seraient pas sujet de leurs vies puisque, en réalité, elles ne savent pas prendre une décision pour elles-mêmes mais cela n’empêche en rien qu’elles puissent s’occuper des enfants. 

  4. Intersectionnalité et inégalités sociales : À ces enjeux cité ci-dessus, s’ajoutent ceux relatifs à l’accès à l’avortement. En effet, toutes les femmes ne sont pas également touchées par les restrictions sur l'avortement. Les femmes issues de minorités ethniques, les femmes pauvres, les femmes sans papiers ou vivant dans des régions rurales ont moins accès à des services d'avortement sûrs et abordables. Cela renforce les inégalités déjà existantes. Le droit à l'avortement doit donc être compris dans une perspective large, incluant l'accès pour toutes les femmes, indépendamment de leur classe sociale, de leur race ou origine. À ce propos, les féministes revendiquent, en Belgique, que l’avortement soit intégré dans l’aide médicale urgente (AMU), afin de permettre aux personnes ne bénéficiant pas d’une mutuelle d’accéder à une série de soins, dont l’avortement. Cette mesure bénéficierait directement aux personnes sans papiers. 

    À cela, s’ajoute un élément qu’il nous semblait nécessaire de rappeler : dans certains contextes, entre autres coloniaux, les femmes racisées et les femmes de classes populaires sont davantage surveillées et pénalisées en matière de reproduction. Les politiques restrictives sur l'avortement affectent donc de manière disproportionnée les femmes déjà marginalisées dans la société. 



L'avortement en Belgique : bref détour historique

L'histoire de l'avortement en Belgique est marquée par un long processus de luttes politiques et sociales. Jusqu'en 1990, l'avortement était strictement illégal et pénalement sanctionné.


Dans les années 1970, des voix commencent à s'élever en faveur de la dépénalisation, notamment celles du sénateur Roger Lallemand et de la députée Lucienne Herman-Michielsen. Ils soulignent alors l'injustice sociale créée par l'interdiction, qui permettait aux femmes les plus aisées d'aller à l'étranger pour avorter en toute sécurité, tandis que les autres devaient recourir à des moyens clandestins. La société civile et des membres du corps médical, comme le docteur Willy Peers*, ont joué un rôle essentiel en brisant le silence et en provoquant un débat public sur la question.


En 1990, après de nombreuses tentatives de loi, le Parlement belge a finalement voté la dépénalisation partielle de l'avortement, autorisant celui-ci jusqu'à 12 semaines de grossesse sous certaines conditions. Ce vote a créé une crise politique majeure, le roi Baudouin refusant de signer la loi pour des raisons de conscience (d’où le fait que le pape veuille le béatifier). Pour éviter une crise constitutionnelle, le roi a été temporairement déclaré en incapacité de régner, permettant ainsi au gouvernement de promulguer la loi sans son accord. Cet épisode a marqué un tournant dans l'histoire belge, non seulement pour les droits des femmes mais aussi pour les relations entre l'Église, l'État et la monarchie. Depuis lors, la loi a été régulièrement évaluée, et les pratiques médicales autour de l'avortement se sont normalisées.


En somme, la dépénalisation de l’avortement en 1990 en Belgique a été le résultat d’un long combat, non seulement politique mais aussi éthique, où les valeurs d’autonomie des femmes et la réalité des pratiques ont fini par l’emporter, non sans heurts ni résistances.

Depuis lors, la Belgique a vu plusieurs initiatives visant à assouplir ou réévaluer le cadre légal de l'avortement. Les revendications portaient principalement sur la suppression ou la réduction de la période de réflexion, la prolongation du délai de 12 semaines, et une meilleure prise en charge des femmes. Ces revendications sont d’ailleurs toujours à l’ordre du jour ! 


En 2018, un pas symbolique a été franchi lorsque l'avortement a été officiellement retiré du Code pénal, bien que des sanctions pénales restaient prévues pour les avortements pratiqués en dehors du cadre légal. Ce changement visait à dépénaliser davantage l’avortement et à le considérer comme un acte médical plutôt qu'une infraction pénale.


En 2020, le Parlement belge a débattu de nouvelles propositions de loi visant à élargir l'accès à l'avortement. Parmi les mesures envisagées figuraient :

  • La prolongation du délai légal d'avortement de 12 à 18 semaines.

  • La réduction de la période de réflexion obligatoire de 6 jours à 48 heures.

  • Le renforcement des sanctions pour les médecins refusant de fournir l'information sur les options d'interruption de grossesse.


Ces propositions ont suscité des débats animés au sein de la classe politique belge et ces réformes ont été récusées. Toutefois, elles ont été remises à l’ordre du jour en 2024 par le PS, Ecolo-Groen, PTB et l’Open VLD et n’ont à ce jour toujours pas été adoptées. En effet, cette proposition a encore été reportée à plus tard, ou remise au frigo comme le mentionne la rtbf et ce, afin de ne pas entraver les négociations entre nos supers présidents  de partis. 

Au-delà des évolutions législatives, l’accès à l’avortement en Belgique tout de même bénéficié d’améliorations dans les structures de santé, avec une meilleure (mais pas encore suffisante) prise en charge des femmes, une disponibilité accrue des services, et une sensibilisation aux droits reproductifs (pour lesquels il s’agit toujours de lutter!). Toutefois, certaines inégalités dans l'accès à l'avortement persistent, notamment en termes de disparités géographiques ou de réticences personnelles de certains professionnels de santé.

Ainsi, nous en sommes toujours à demander la suppression du délai de réflexion, un allongement du délais légal d’avortement ainsi qu’un financement à hauteur des besoins réels afin de permettre à toutes un accès aux soins et services de qualité. 



L’avortement : quelques chiffres

  • En Belgique, 1 femme sur 5 a recours à l’avortement au cours de sa vie.

  • 1 femme sur deux ayant recours à l’avortement était sous contraception médicale (en France ; Source).

  • Environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde (Source).

  • 56 % : c’est l’augmentation du taux de mortalité des femmes enceintes au Texas, où l’avortement est désormais interdit, contre 11 % dans le reste des États-Unis entre 2019 et 2022. (Source).

  • 47 000 femmes décèdent des suites d’un avortement clandestin dans le monde chaque année. C’est une femme toutes les 9 minutres (Source).

  • 41 % de femmes en âge de procréer qui résideraient dans des pays où la législation sur l’avortement est restrictive, soit près de 700 millions de femmes (Source).

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